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Celui des deux peuples qui a trouvé dans ses montagnes un abri sûr pour s’y reposer et quelques arpens de terre fertile pour vivre y est resté ; l’autre, auquel le désert n’offrait que des pâturages intermittens, a bien été forcé de voyager sans cesse pour éviter de mourir de faim. Il n’était donc pas interdit de croire qu’avec un ensemble de mesures sages, qui changeraient les conditions d’existence des gens du pays, on pourrait changer aussi leurs habitudes. C’est ce que comprit Massinissa et ce qu’il essaya de faire : on nous dit qu’il tenta d’arracher les Numides à leur vie vagabonde, de les attacher au sol, de les forcer de vivre ensemble dans des villages ou des villes ; et Polybe laisse entendre qu’il y avait assez bien réussi. Mais sa dynastie ne régna pas assez longtemps et fut battue de trop d’orages pour que l’œuvre du roi berbère ait produit des résultats durables. L’honneur de cette grande entreprise revient donc tout entier aux Romains ; tout ce que nous disent les historiens prouve que la civilisation de l’Afrique est bien leur ouvrage. Pour parler encore ici de la Byzacène, dont il a été déjà question plus haut, nous savons par Salluste que, quand Marius, dans sa marche sur Capsa, traversa ce pays, il était inculte, aride et désert. Cet état est celui où nous le voyons encore aujourd’hui ; mais les ruines qui le couvrent montrent que, dans l’intervalle, et tant qu’a duré la domination romaine, il a dû être riche et habité. Ce sont donc les Romains qui ont peu à peu attiré les indigènes dans les terres fertiles et les y ont retenus par la sécurité et l’attrait du bien-être ; puis, ils les ont poussés à la conquête des landes voisines, en sorte que le pays habitable a été s’agrandissant sans cesse, et qu’il n’est guère resté de terre susceptible de culture qui n’ait été cultivée. Partout les huttes errantes se sont groupées ensemble pour former des villages, et un peu plus tard ces villages, où s’entassaient les laboureurs et les commerçans, sont devenus des villes.

C’était un résultat important, qui leur a demandé plusieurs siècles d’efforts obstinés ; et pourtant la victoire qu’il leur fallut remporter sur la nature présentait plus de difficultés encore. Assurément ils durent avoir moins de peine à faire des agriculteurs de ces pâtres nomades qu’à récolter du blé, du vin ou de l’huile où poussent à peine aujourd’hui l’alfa et le palmier nain. Ils y ont si bien réussi qu’en présence de ces restes de villas et de fermes, dans des lieux qui nous semblent inhabitables, nous sommes tentés de supposer que le climat a dû subir quelque changement depuis l’antiquité, que les pluies étaient autrefois plus régulières, les sources plus abondantes, les fleuves moins sujets à tarir. Il faut avouer que, s’il en était ainsi, nous aurions