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— Oh ! quant à cela, peu nous importe ; nous tenons à briller pour notre propre compte !

Et les maris, les frères, les fils ne leur en savent pas mauvais gré. Ils trouvent délicieux, quand ils rentrent au logis après une journée consacrée aux affaires, d’être mis au courant par elles de tout ce qui se passe dans le monde du loisir ; elles écrèment pour ainsi dire à leur intention les revues, les livres, les nouvelles.

Parmi les femmes présentes, qui me sont sympathiques à première vue, se trouve l’une des notabilités de Chicago, le docteur Sarah Stevenson : il y a pour le moins deux cents femmes médecins dans la ville, mais celle-ci a la clientèle la plus considérable. Elle est présidente du Woman’s Club, dont le programme est autrement étendu que celui du Fortnightly, et qui s’occupe surtout de réformes sociales. Le docteur Stevenson me parle avec chaleur de ce qu’elle regarde comme la plus grande conquête accomplie par les femmes de Chicago, la fondation de l’agence protectrice des femmes et des enfans. Le but de l’association est de sauvegarder leurs droits, de faire payer les salaires injustement détenus aux ouvrières, aux domestiques, d’empêcher les prêts usuraires, la violation des contrats, de trouver des asiles pour les enfans abandonnés, de les enlever à des parens indignes, de procurer le divorce aux femmes maltraitées, de sauvegarder les droits de la mère sur les enfans, etc. Un homme de loi est appointé par la société. Tout ce qu’elle me dit excite vivement ma curiosité. Je me rends au jour indiqué dans l’édifice pseudo-roman qui a encore nom Art institute, bien qu’un autre monument de style classique se soit élevé en une année au bord du lac, sur le boulevard Michigan, pour loger les collections d’art. Dans une très grande salle, les gradins superposés, formant amphithéâtre, sont déjà couverts de femmes dont l’apparence et la mise indiquent une réunion beaucoup plus mêlée que le Fortnightly ; il y a en effet des femmes de toute condition dans le Woman’s Club ; il compte cinq cents membres répartis en six grandes divisions : les comités de réforme, de philanthropie, d’éducation, d’enseignement domestique, d’art et de littérature, de science et de philosophie. Au moment où j’arrive, une jeune fille aveugle, debout sur l’estrade, récite un éloge de Longfellow, c’est le « Jour du Poète » ; la séance est consacrée à l’auteur d’Évangéline ; les tributs d’hommages se succèdent avec intermèdes de chant. Après quoi on agite la question des sans-travail. Un magistrat, qui est venu s’entendre avec le Club, dit qu’il y en a des milliers d’inscrits. L’Université, la faculté de théologie, la société catholique de Saint-Vincent-de-Paul, l’armée du Salut s’unissent pour porter remède à cette misère ; les dames sont priées de faire