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debout sous le bosquet d’orangers, est dessiné avec la même sensibilité. Quoiqu’il faille regretter, dans l’exécution générale, un certain parti pris de tonalité trop terne et trop sourde, en même temps qu’une certaine mollesse des dessous, difficilement acceptable dans de telles dimensions, on doit néanmoins reconnaître que c’est là un ouvrage des plus distingués.

L’aspect mat que M. Gorguet a volontairement conservé à sa peinture se retrouve)dans les toiles de presque tous les artistes, qui ont été séduits comme lui par la noble tranquillité des fresques florentines. On sait que les grands Quattrocentisti, Botticelli et Ghirlandajo, préférèrent toujours, pour l’expression de leurs visions lyriques ou épiques, le calme clair et grave de la peinture à la détrempe à l’éclat inégal et incertain de la peinture à l’huile, dont une brève expérience suffisait d’ailleurs à leur apprendre les trahisons fatales et les inévitables altérations. Depuis quelques années, c’est une pensée semblable qui a ramené tant de peintres à la pratique des procédés plus simples de l’aquarelle, de la détrempe, du pastel et, dans l’emploi même de la peinture à l’huile, à la recherche de cet aspect doux et reposé qui est celui de la peinture murale. Il semble qu’on ait ainsi moins à craindre les injures du temps, dont l’action éteint ou assombrit, en effet, ce genre de peinture, d’une façon plus lente et plus égale, qu’elle ne fait pour les peintures à l’huile, surchargées et tourmentées, empâtées et glacées. De notre temps, plus que jamais, soit par suite d’un emploi hasardeux de produits médiocres, soit par suite de la précipitation et de la complication des mélanges, ces dernières peintures, en quelques années, perdent presque toutes l’aspect que le peintre leur avait voulu donner, et semblent irrémédiablement condamnées à une mort plus ou moins prochaine par leur propre décomposition.

On comprend donc très bien qu’un portraitiste, s’il veut présenter une figure fortement ou délicatement accentuée, dans un milieu peu compliqué, choisisse de préférence ce mode de colorations plus simples et plus égales. Ce que l’on comprend moins, c’est qu’il ajoute à ce parti pris de matité, délicieux surtout dans les effets clairs, un parti pris de tonalités sourdes et opaques, c’est-à-dire qu’il inflige volontairement à la peinture en détrempe ou simulant la détrempe les noirceurs et les lourdeurs de la peinture à l’huile mal triturée ou mal conservée. Cette erreur est, ce nous semble, celle que commet d’ordinaire un artiste distingué du Champ de Mars, M. Aman-Jean, dont les portraits, peints en mat, affectent visiblement et heureusement, dans la souplesse de l’attitude, dans la précision délicate et intellectuelle