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que fière, en corset lâche et flottant sous la chemise entr’ouverte, le tablier relevé à la ceinture, les manches retroussées, debout, la main droite appuyée au rebord du lavoir sur lequel elle s’appuie ; la figure est à mi-corps et tout enveloppée d’un fond de feuillages.

Comment expliquer à des yeux qui n’auraient pas le sens et l’habitude des analyses pittoresques, tout le charme pénétrant et durable que le peintre a su fixer dans cette figure insignifiante et banale par le seul jeu, délicat et sûr, des teintes et des demi-teintes, des pénombres et des ombres ? Les tons rosés et hâlés du visage et des bras, les tons grisâtres de la chemise, le noir profond du corset et le jaune vif de ses rubans, le lilas éteint du tablier, les verdissemens, plus ou moins calmés, du feuillage piqué çà et là de pointes de lumière, composent une symphonie en mineur, d’un mouvement doux et lent, avec des surprises délicates d’accords si finement nuancés qu’on n’en saisit bien toutes les ravissantes subtilités qu’à la seconde ou à la troisième vision. Il va sans dire qu’entre les mains d’un dessinateur attentif comme M. Hébert, le rythme n’est pas sacrifié à l’harmonie, si habile que soit cette harmonie, et que le dessous de la figure est solide comme le dehors en est séduisant. On ne saurait mieux prouver à nos brosseurs expéditifs que l’énormité des toiles, l’étrange té des sujets, la bizarrerie des procédés conduisent moins sûrement à faire un chef-d’œuvre que l’approfondissement passionné et réfléchi d’une sensation naturelle et précise avec le maniement intelligent et libre des moyens d’expression expérimentés par les vieux maîtres.

MM. Henner, Benjamin-Constant, Raphaël Collin renouvellent l’expérience, sur un moindre champ, et seulement pour les têtes, avec un succès approchant. La Lola de M. Henner, qu’on croit connaître déjà, qui diffère pourtant de ses sœurs aînées par la séduction particulière de ses yeux noirs, si pâle et si blanche, avec ses lèvres de sang, sous sa chevelure rousse, dans son manteau noir, est un morceau de belle expression autant que de belle exécution. M. Henner l’accompagne d’un morceau plus magistral encore, une tête d’homme grisonnant, vue de profil, sculptée et modelée dans une harmonie grave et nuancée avec un mélange surprenant de vigueurs et de délicatesses : le Portrait de M. R… Dans les Diamans noirs, une tête de jeune femme à qui la splendeur de ses prunelles a valu ce titre mystérieux, dans la Primerose dont une fleurette piquée dans ses cheveux fins justifie le nom, MM. Benjamin-Constant et Raphaël Collin, l’un avec sa sensualité chaleureuse, l’autre avec sa sentimentalité délicate, ont