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rouges, verts et bleus, que répandaient en longs rayons mystérieux les cabochons des lampes dorées suspendues à la voûte. Les Grecs s’apprêtaient à prendre la place des Arméniens et à la leur disputer au besoin. Dans un recoin du dôme central qui recouvre la pierre du sépulcre et s’élève au milieu de la nef, trois ou quatre vieux prêtres coptes aux vêtemens noirs, à la figure noire, célébraient la messe devant leurs saintes images, dans une niche pratiquée dans l’épaisseur du mur et où ils avaient peine à se mouvoir. Ils avaient l’air de vieilles reliques, écrasés par le poids de l’édifice trop lourd pour eux et par la splendeur des autres cultes, et je pensais à ces Esséniens de Flaubert, à ces restes surannés des chrétiens primitifs, qui promenaient leurs rides en hochant la tête et en disant d’une petite voix grêle et cassée : « Nous aussi, nous l’avons connu ; nous aussi, nous l’avons connu. »

Après les coptes, ce sont les chefs de la Synagogue. Le grand rabbin officiel porte une splendide robe noire brodée d’argent ; c’est un cadeau que lui a fait le sultan, car il est fonctionnaire ottoman. À côté de lui, un petit vieux à l’œil vif, enveloppé dans un manteau de velours violet, un bonnet de fourrure jaune sur la tête, s’avance, les pieds déchaussés, ramasse profondément le salut à la mode orientale, en se courbant jusqu’à terre et en portant la main du sol à son cœur et à son front. C’est le chef des aschkenazis, c’est-à-dire des Juifs étrangers à la Palestine. Le grand rabbin des Sefardim le suit de très près.

Voici les Pères blancs. Le pacha se lève, va à leur rencontre, leur serre la main, leur fait un accueil tout particulièrement chaleureux. Ils lui expriment, comme tous les autres, leurs vœux pour la santé de l’empereur ; mais il y a dans cet accueil quelque chose de cordial et d’ouvert, une rondeur presque militaire. Puis c’est un explorateur anglais, M. Bliss, qui a obtenu du sultan un firman, pour entreprendre des fouilles au sud de Jérusalem, du côté du Tombeau de David. Il entre, le casque de sureau à la main ; le pacha lui souhaite la bienvenue et s’entretient avec lui. Puis, le chancelier du Consulat de France, qui se présente en costume de ville. Le Baïram étant une fête religieuse, les consuls ne viennent pas en personne ; c’est seulement à la fête de l’empereur qu’ils se rendent chez le pacha en grand uniforme. Tout cela m’est expliqué par l’aide de camp du gouverneur, un homme charmant, très cultivé, parlant le français comme un Français, qui est venu s’asseoir à côté de moi, pour me mettre au courant de tout ce que je vois.

La conversation se prolonge ainsi, tandis que les députations se succèdent, avec des intervalles de silence, pendant lesquels on regarde, ou bien l’on songe, en attendant le moment de reprendre