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s’y conjugue avec tous ses dérivés. Admirable et merveilleux s’y complètent de « miraculeux ». Encore arrive-t-il que ces mots semblent par trop inégaux à la louange. Outre que la langue française est pauvre, les épithètes laudatives y ont perdu de leur valeur pour avoir trop servi et trop souvent hors de propos ; elles se sont usées pendant que les professeurs de belles-lettres les appliquaient à Homère, à Eschyle, à Dante, à Shakspeare, à Goethe. Il faudrait des vocables tout neufs. Nos portraitistes ne se font pas faute d’en inventer. D’autres fois, désespérant de tout dire, ils aiment mieux ne rien dire. Ils renoncent. C’est ainsi, d’un bout à l’autre, une admiration spasmodique et continue… Comment se fait-il que de si beaux génies en soient encore à attendre la renommée, alors que tant de commerçans vulgaires et de bas entrepreneurs de lettres ont surpris la faveur publique ? Hélas ! c’est qu’en notre époque de réclame à outrance ceux-là restent longtemps méconnus qui ne se résignent pas à employer des procédés dont la grossièreté répugne à la délicatesse de leur âme. Toutefois il était temps que ce malentendu prit fin. Et puisque les « organes officiels » leur sont fermés, puisque les critiques à brevets, distributeurs patentés de l’éloge et du blâme, refusaient de les apercevoir, ne trouvez-vous pas que les nouveaux écrivains ont bien fait de s’adresser à nous directement et de se présenter eux-mêmes ?

Car tel est le procédé employé pour les Portraits du prochain siècle. Ce sont portraits d’écrivains peints par eux-mêmes. C’est M. Bernard Lazare qui nous apprend que M. Paul Adam, « parmi les écrivains nouveaux, est certes au premier rang ». Mais c’est M. Paul Adam qui, par un juste retour, qualifie M. Bernard Lazare de « parfait entre les écrivains ». M. A. -Ferdinand Hérold se porte garant du talent de M. Pierre Quillard ; parallèlement M. Pierre Quillard témoigne en faveur de M. A.-Ferdinand Hérold. M. Henri Degron nous fait les honneurs de l’œuvre de M. Achille Delaroche : aussi reçoit-il à l’instant de M. Delaroche un même service. M. Hugues Rebell a signé le portrait de M. René Boylesve ; et donc au bas du portrait de M. Rebell se lit la signature de M. Boylesve. M. Hirsch (Charles-Henry) fait le portrait de M. Hirsch (Paul-Armand). C’est ainsi que tous les représentans de la jeune littérature défilent devant nous dans une double posture, tour à tour peintres et modèles, portraitistes et portraiturés.

Je prévois l’objection. On ne manquera pas de crier à la camaraderie. On rappellera le mot de Molière sur la casse et le séné. Pour le dire en passant, à combien d’exécutions sommaires ont servi les mots trop vantés de cet homme de théâtre ! Il est aisé de se moquer de tout, sans être pour cela fort plaisant. La raillerie, qui sert si bien la cause de l’injustice, n’est le plus souvent qu’une forme de l’inintelligence. Ne convient-il pas plutôt de reconnaître ce qu’il y a de généreux, — et surtout de désintéressé, — dans l’attitude de ces écrivains ? Notez en