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prêtres et des clercs. Pareillement, on sait du pape qu’il est le vicaire de Jésus-Christ et le successeur de saint Pierre[1]. On sait encore que depuis vingt-quatre ans il a perdu sa ville, — la Ville, — et que, depuis lors, il est reclus en un palais immense où l’on compte onze mille chambres et d’où quelquefois, rarement, par un couloir secret, il descend prier et bénir dans la basilique du Prince des apôtres. On le voit, aux cérémonies, passer sur la chaise à porteurs, éventé par les flabelli, précédé de la croix et de l’épée, entouré de sa garde noble, de sa garde bourgeoise et de sa garde suisse, à la fin d’une lente procession de vieillards qui marchent deux par deux, vêtus de pourpre et d’hermine, avec des diacres pour soutenir leurs traînes, entre des chevaliers de Malte en armure, des camériers à collerette et chaîne d’or, des valets habillés de damas rose, des moines en froc noir, blanc ou brun, et des prélats à manteau violet. Cela, c’est ce qui éclate et c’est ce que l’on voit. Mais c’est ne voir de l’Église que sa pompe et ses fêtes et ce n’est pas assez ; ce n’est voir ni tout ce qu’elle est, ni tout ce qu’elle contient.

L’Eglise catholique — Léon XIII le déclare dans une de ses encycliques[2] — est « une société parfaite ». « Elle constitue, et ce fait est de la plus grande importance, dit-il, une société juridiquement parfaite dans son genre, parce que, de l’expresse volonté et par la grâce de son fondateur, elle possède en soi et par elle-même toutes les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action. »

On ne peut assurément pas dire d’elle, au sens ordinaire des mots, que ce soit un État, ou qu’elle ait un gouvernement, ou qu’on y trouve les caractères distinctifs de ce que la vieille école nommait « la souveraineté ». Comment serait-elle un État, si elle n’a pas, à elle appartenant en propre, un territoire défini ? Et pourtant, comment n’en serait-elle pas un, si elle possède au degré le plus éminent, depuis des siècles et vraisemblablement pour des siècles encore, la permanence sous la même forme ; si, parmi les États, ces personnes morales perpétuelles, elle est, par excellence, la personne morale perpétuelle ?

  1. La liste est longue des qualificatifs que le Pape pourrait prendre Joseph de Maistre (Du Pape, liv. I, chap. VI) on a relevé quarante-cinq dans les Conciles et les Pères. Ils l’appellent le très saint évêque de l’Église catholique, le très saint et très heureux patriarche, le très heureux seigneur, l’évêque élevé au faîte apostolique, le préfet et le porte-clefs de la maison de Dieu, le gardien de la vigne du Seigneur, la bouche et le chef de l’apostolat, la fontaine apostolique, le lieu de l’unité, le port très sûr de toute communion catholique, etc.
  2. Encyclique Immortale Dei, sur la Constitution chrétienne des États, du 1er novembre 1885.