Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/745

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monter sur le trône de cette nation si fidèle amie de la France. Si Marie-Thérèse cherche à se mettre en bons rapports avec l’Espagne et veut se réconcilier avec le Piémont, c’est pour préparer contre la France, en vue d’un conflit nouveau, l’hostilité des deux péninsules ; et en même temps elle mène une intrigue en Pologne pour assurer, à la mort d’Auguste III, le trône électif à son beau-frère Charles de Lorraine. Contre ces dangers dont il grossit à plaisir la gravité et l’imminence, il réclame, c’est trop peu dire, il exige, l’intervention active et militante de la France. Il faut que la France fasse entendre à Londres une parole menaçante ; il faut qu’elle renouvelle et accroisse ses subventions aux petits princes allemands pour les enrôler plus que jamais dans une ligue contre l’ambition autrichienne ; il faut que son ambassadeur à Constantinople décide le Grand Turc à tenir une armée toute prête pour prendre à revers l’Autriche et l’attaquer sur ses derrières. Et comme la France ne s’exécute pas assez vite ni assez complètement à son gré, ce sont des plaintes quotidiennes qui prennent l’allure d’injonctions impératives ; c’est ce ton de hauteur sarcastique, ce sont ces coups de langue et ces expressions mordantes qui rendent tout entretien pénible avec lui et dont il convient lui-même qu’il a pris et ne peut plus refréner l’habitude. Les termes les plus doux dont il se serve pour qualifier la manière, trop lente à son gré, dont on répond aux inquiétudes qu’il se plaît à faire naître sont ceux de mollesse, d’indolence, d’assoupissement : « Par la grande indolence, s’écrie-t-il, avec laquelle la France envisage à présent toutes les affaires d’Europe, on oserait dire que cette partie du monde changerait trois fois de suite avant qu’elle en fût instruite… On ne conçoit pas comment des personnes aussi éclairées peuvent tenir une conduite aussi pitoyable… C’est à faire renoncer à s’embarquer à jamais avec cette couronne dans une affaire d’aucune espèce… Mais il est inutile de leur en parler, car ils sont trop suffisans et trop prévenus de leurs lumières pour être capables de correction. »

Puis il n’épargne rien, critique et plaisante surtout, sur le désarroi des finances françaises, sur les démêlés du roi avec l’Église et les Parlemens, les robins, la prétraille et la mitraille, le dénûment et le mauvais état des troupes ; et afin que Louis XV n’ignore rien de ce qu’il pense de lui, de son mode de vivre et de gouverner, ce sont ses ambassadeurs qu’il prend à partie pour les cribler de ses railleries : « Je fus prévenu, dit Valori, prenant congé à la fin de sa laborieuse mission, qu’il voulait me tourmenter et émouvoir ma bête. Le tout roula sur des faits de guerre qui regardaient particulièrement la nation française. Préparé comme j’étais, je pus me tirer d’affaire. » Ses successeurs ne sont pas mieux traités : —