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qu’il s’agit de défendre le foyer même de toute religion, l’autel du vrai Dieu, la croix du salut et, en même temps, qu’il est urgent de porter les secours de la foi aux indifférens et les consolations de la charité à la foule des misérables. C’est là le sens de l’avertissement qu’Alexandre Vinet adressait aux croyans des deux confessions, il y a plus de quarante années :

« Catholiques ! vos dangers ne sont pas dans le protestantisme ; protestans, vos dangers sont encore moins dans le catholicisme. Les uns et les autres, vous avez un autre ennemi : c’est l’athéisme qui, du sein de la confusion de toutes les idées et du tumulte de toutes les passions, élève sa tête hideuse et promène ses regards satisfaits sur un siècle sans foi[1] » !

Les deux Églises ne sont pas restées sourdes à cet appel, et depuis cette époque environ on peut relever bien des symptômes de rapprochement, bien des tentatives d’accord qui ont abouti, en certains cas, à une réconciliation.


I

L’honneur d’avoir fait les premiers pas, dans cette voie, appartient aux historiens. Quoi d’étonnant ? L’histoire n’est-elle pas comme le jugement de la postérité, qui rend à chacun ce qui lui est dû ? Que de préjugés confessionnels ont fait tomber chez les protestans les belles leçons de M. Guizot sur l’histoire de la civilisation et les études, non moins impartiales, de Léopold Ranke sur l’histoire des papes ; et chez les catholiques, les mémoires de Charles de Villers et du chanoine Dœllinger sur les bienfaits de la réformation de Luther ! Partis de points de vue opposés, mais ne cherchant que la vérité, ces écrivains en étaient venus à constater que les papes et les réformateurs, chacun à leur tour, à l’heure marquée par Dieu, avaient rendu service à la cause de la liberté des âmes, aux bonnes mœurs, et au progrès de l’esprit humain.

Après l’histoire, la politique, qui à sa manière, elle aussi, est l’art des transactions, a rapproché les nations chrétiennes jadis séparées par les barrières du dogme. On a vu la reine Victoria, héritière de ces rois d’Angleterre qui avaient interdit à tout prêtre « papiste » de mettre le pied en Grande-Bretagne sous peine de mort, envoyer à Rome un agent diplomatique pour négocier avec le pape l’apaisement des catholiques d’Irlande. Les rois de Prusse de leur côté, après avoir réuni en une seule Église leurs sujets calvinistes et luthériens, ont accordé des libertés de plus en plus

  1. Nouvelles Études évangéliques (1841-1847).