Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous-comités spéciaux toujours en exercice, recrutant des adhérens, les encadrant et les disciplinant ; de l’autre, 1 100 lieutenans expérimentés, avec leurs états-majors de toughs — prêts à toutes les besognes, déclassés âpres à la curée des petites places, surveillant individuellement chaque électeur de leur rue et de leur quartier, responsables de leur vote et tenus de faire rendre à la matière électorale qu’ils manipulent tout ce qu’elle peut donner ; enfin, un comité directeur de soixante membres obéissant au doigt et à l’œil d’un Boss, investi de pouvoirs illimités : telle est l’organisation de Tammany-Hall.


III

L’association a pour elle le prestige du temps et de la tradition, la consécration du succès, le pouvoir et l’argent. Largement ouverte à tous, elle n’a ni préjugés de race, ni préjugés de religion ou de nationalité ; juifs et chrétiens, Américains ou étrangers naturalisés sont les bienvenus. Bienvenus aussi tous ceux que leur savoir-faire, leur dévouement ou leur hostilité signalent à son attention. Un adversaire vient-il à conquérir, par son éloquence ou son habileté, quelque influence dans son district, le comité en est immédiatement avisé ; on recherche ses antécédens, on se rend compte de ses capacités et surtout de ses besoins. On le circonvient par l’argent ou la flatterie, par la promesse d’une place ou le mirage d’un avenir brillant, on l’attire, on l’enrôle, on l’utilise. Plus il peut nuire, plus il peut aussi servir et mieux il est rétribué. Pour les jeunes hommes capables, intelligens et ambitieux, Tammany n’a que des sourires et des encouragemens ; et le nombre est grand de ceux qui, enrôlés sous sa bannière, ont, avec son appui, conquis de hautes positions dans l’État.

C’est à cet incessant recrutement, à cette constante adjonction de forces vives et d’élémens nouveaux que l’association doit de se maintenir et de prospérer. Depuis plus d’un demi-siècle, elle gouverne New-York, disposant en maîtresse absolue des emplois de la ville et de la législature de l’État, du gouvernement local, et d’un budget considérable.

À quel chiffre s’élève-t-il et à quelles sources s’alimente-t-il ? À la première question nul ne saurait répondre exactement ; le montant total n’est connu de personne, sauf du Boss et de quelques membres du comité directeur, lesquels n’ont aucun compte à rendre et, détenteurs de ce budget royal, y puisent à leur convenance. Quelques indications donneront toutefois une idée des sommes annuellement encaissées. Tammany traite à forfait avec ses cliens et les assure contre les extorsions de la Black Horse Cavalry, autrement