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LE
BIMÉTALLISME PEUT-IL ÊTRE SAUVÉ ?

« Votre article sur le bimétallisme, une perle, un bijou ! la fin surtout, une pure ivresse ! » s’écriait la comtesse de Morlaine en s’adressant à l’un des invités de l’élégant salon du Lys rouge[1]. Est-il plus ingénieuse et plus mondaine façon d’avouer à un auteur qu’on ne l’a pas lu ? Tout ce que peut demander le bimétallisme, c’est la bienveillante résignation d’un lecteur qui ne recule pas effrayé devant le sujet.

Nos grandes sociétés agricoles se sont vivement émues de la crise monétaire, dont le contre-coup atteint l’agriculture française, déjà cruellement éprouvée. Les discussions soutenues sur cette question compliquée, dans les intéressantes réunions des agriculteurs de France, comme à la dernière conférence de Londres, et au récent congrès de Lyon, montrent que chez nos honorables et savans amis l’habileté de la parole ne le cède en rien à la profondeur des connaissances. Quant au patriotisme des intentions, chacun s’empresse d’y rendre hommage. D’excellentes choses ont été dites, notamment sur les inconvéniens onéreux du change et sur la nécessité de réhabiliter la monnaie d’argent.

Au milieu de ce débat si complet, y a-t-il encore place pour les libres propos d’un rural, très perplexe de ne pas se trouver toujours d’accord avec d’éminens collègues, dont il apprécie fort le talent et la compétence ?


I

La plupart des agriculteurs sont nettement bimétallistes. Ce qui me sépare d’eux, c’est moins le bimétallisme même que la

  1. Le Lys rouge, par Anatole France, 1894.