Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’étranger venait acheter notre or à moitié prix. Aussitôt que la liberté de la frappe serait rétablie chez nous, le même fait se reproduirait infailliblement ; les espèces d’or quitteraient de nouveau notre territoire et seraient remplacées par l’argent avili de moitié.

On semble ainsi réduit à l’alternative suivante : ou bien, pour maintenir le rapport fixe, sans en subir les conséquences désastreuses, il faut abolir la liberté de la frappe, autrement dit effacer définitivement de notre système le caractère essentiel du bimétallisme régulier, et s’en tenir au régime mixte, qualifié d’étalon boiteux ; ou bien, pour recouvrer la frappe libre, c’est-à-dire la condition primordiale du bimétallisme sincère, on doit renoncer à tout rapport fixe entre les deux monnaies métalliques.


III

Certains bimétallistes retournent complètement la question. Loin de songer à supprimer chez nous la fiction monétaire actuelle, ils proposent de l’étendre au monde entier. D’après eux, dès que les peuples civilisés du globe s’engageraient, par une entente unanime, à tenir pour bonne la monnaie inférieure, il n’y aurait plus de mauvaise monnaie nulle part, et ainsi plus de change ruineux, plus de crise funeste. La loi suffit, en France et dans les pays de l’Union latine, à garantir aux espèces d’argent dépréciées leur pleine valeur nominale. Cette garantie deviendrait universelle, si nous faisions adopter une loi semblable partout.

Eh ! sans doute, comme dans la comédie : « Je sais bien qu’il ne tiendrait qu’à moi de l’épouser, si elle voulait. » Le oui sacramentel, en l’occurrence, devrait être prononcé par une trentaine de nations souveraines, dont les traditions, les penchans, les usages et les intérêts sont très différens, sinon contraires. Voilà qui rend fort problématique la conclusion du contrat.

On allègue que l’exemple des États principaux entraînerait probablement les autres, et l’on croit découvrir, en Angleterre même, quelques symptômes de bienveillance envers les bimétallistes. Certes les Anglais ne demandent pas mieux que de voir accepter par autrui un système qui ferait refluer sur le sol britannique l’or chassé de l’étranger. Le bimétallisme peut donc avoir toutes leurs sympathies, comme article d’exportation. Quant à l’appliquer chez eux, ils n’ont garde d’y penser. Leurs préférences, d’accord avec des habitudes héréditaires, restent invinciblement acquises à l’étalon jaune.