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défendu de partager la nourriture, fût-ce d’un brâhmane, si, par une cause quelconque, encore qu’accidentelle, indépendante de sa volonté, il est sous le coup d’une souillure. Un çoûdra même ne peut, sans contamination, manger le repas d’un dvija souillé.

L’impureté se communique ; elle exclut donc de la fonction religieuse du repas. Et voilà pourquoi c’est on s’asseyant à un banquet commun avec ses compagnons de caste, que le pécheur qui a été temporairement exclu consacre sa réhabilitation. C’est en vertu du même principe que, dans le mariage solennel des Romains, les époux se partagent un gâteau en présence du feu sacré ; la cérémonie est essentielle : elle constate l’adoption de la femme dans la religion familiale du mari. Qu’on ne cherche pas là une bizarrerie isolée ; on a pu dire que, dans le culte qui unissait la curie ou la phratrie, l’acte religieux caractéristique était le repas fait en commun. Les repas romains des Caristies, qui réunissaient la parenté, excluaient non seulement tout étranger, mais tout parent que sa conduite paraissait rendre indigne. Les Perses avaient gardé des usages pareils. Les repas quotidiens des prytanes étaient restés chez les Grecs un des rites officiels de la religion de la cité. Mais le menu n’en était pas indifférent ni arbitraire. La nature des mets et l’espèce de vin qui y devaient être servis étaient définies par des règles qui variaient avec les lieux. En excluant tels ou tels alimens, l’Inde a pu généraliser l’application du principe ; elle ne l’a pas inventé. Lui aussi, il a dans le passé commun ses analogies et son germe.

Chose remarquable, les Hindous qui ont, sous d’autres aspects, conservé plus fidèlement que personne la signification du repas commun, qui l’ont, semble-t-il, étendue, se sont, plus que d’autres, éloignés du type primitif dans la forme liturgique du banquet funèbre ou çrâddha. D’après la théorie, au lieu de réunir les parens, il est offert à des brâhmanes. Mais ils sont donnés comme représentant les ancêtres et reçoivent la nourriture en leur nom. Encore, celui qui offre le sacrifice doit-il, symboliquement au moins, à la façon des ancêtres eux-mêmes, s’associer à eux. C’est bien, en dépit des notions nouvelles qu’y a pu introduire le rituel développé, la prolongation idéale du repas de famille. Les brâhmanes invités doivent être choisis avec un soin qui rappelle la loi de pureté imposée aux convives primitifs. Si des brâhmanes sont substitués aux parens, la nouveauté s’explique assez par l’envahissement de la puissance sacerdotale. Les commentateurs ne font-ils pas de même acquitter au profit des brâhmanes la composition du meurtre ? Elle était pourtant bien