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déconcertante, si insaisissable, se sont, à n’en pas douter, produits de bonne heure, S’ils ont été en s’accusant, ils ont commencé dès l’époque où le régime se formait. Je l’ai dit déjà, je le répète à dessein. A condenser en une formule sommaire une conclusion générale, on risque de paraître outrer son principe ; effort de précision ou séduction de nouveauté, on risque de fausser, en l’étendant à l’excès, une pensée juste. Je ne voudrais pas que l’on me soupçonnât d’un entraînement contre lequel je suis en garde.

Ce que j’estime, c’est que, quelques influences qu’ils aient pu subir du dehors, quelques troubles qu’aient apportés les hasards de l’histoire, les aryens de l’Inde ont tiré de leur propre fonds les élémens essentiels de la caste, telle qu’ils l’ont pratiquée, conçue et finalement coordonnée. Si le régime sous lequel l’Inde a vécu n’est ni une organisation purement économique des métiers, ni un chaos barbare de tribus et de races étrangères et hostiles, ni une simple hiérarchie de classes, mais un mélange de tout cela, unifié par l’inspiration commune qui domine, dans leur fonctionnement, tous les groupes, par la communauté des idées et des préjugés caractéristiques qui les rapprochent, les divisent, fixent entre eux les préséances, cela vient de ce que la constitution familiale, survivant à travers toutes les évolutions, gouvernant les aryens d’abord, puis pénétrant avec leur influence et s’imposant même aux groupemens d’origine indépendante, a été le pivot d’une lente transformation.

Qu’elle ait été traversée d’élémens hétérogènes, je n’ai garde de l’oublier. D’ailleurs une fois achevée dans ses traits essentiels, elle a, cela va sans dire, comme tous les systèmes vieillissans où la tradition ne se retrempe plus dans une conscience vivante des origines, subi l’action de l’analogie. Les principes qu’on a cru y découvrir, l’arbitraire même, armé de faux prétextes, y ont fait leur œuvre. Pour être accidentelles ou secondaires, ces altérations n’ont pas laissé que de jeter quelque désarroi dans la physionomie des faits. Je n’y insiste pas cependant. On en retrouvera aisément les sources dans les détails que j’ai eu l’occasion de signaler en passant.

Même à nous enfermer dans la période de formation, combien nous souhaiterions de fixer des dates ! Ce que j’ai dit de la tradition littéraire expliquera que je n’en aie pas de précises à offrir. Des institutions anciennes ne s’imprègnent que par progressions insensibles d’un esprit nouveau ; des mouvemens qui peuvent, suivant les circonstances, marcher d’un pas inégal dans des régions diverses, ne se manifestent dans les témoignages que lorsque l’ordre antérieur est devenu tout à fait méconnaissable. Ils sont obscurs parce qu’ils sont lents. Ils ne supportent pas de