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de la France. Marie-Thérèse n’avait accepté qu’en frémissant à Aix-la-Chapelle le rétablissement d’une servitude si blessante pour sa dignité royale, et elle ne mettait pas moins de mauvaise grâce et d’impatience à en exécuter les conditions. C’était, entre les États Généraux siégeant à la Haye et le gouverneur représentant l’Autriche à Bruxelles, un échange journalier de plaintes et de mauvais procédés réciproques. L’Autriche devait fournir à l’entretien et à la réparation des places occupées, et on l’accusait, non sans motif, d’y procéder avec une parcimonie et une négligence qui les laissaient dans l’état de dénuement où les avait réduites la conquête française. La République, de son côté, devait maintenir ses garnisons à un chiffre d’effectif suffisant pour qu’elles fussent en état de se défendre elles-mêmes en cas d’attaque. Mais dans l’état de détresse du trésor hollandais, cette obligation assez lourde était très imparfaitement remplie. Enfin ce qui froissait surtout l’orgueil de Marie-Thérèse, c’est que le même traité qui l’assujettissait à la présence odieuse de troupes étrangères sur son territoire assurait au commerce hollandais ou britannique des avantages dont on lui contestait le droit de faire jouir ses nationaux eux-mêmes : « Ne suis-je donc plus souveraine dans les Pays-Bas, disait-elle, puisqu’on m’empêche de faire du bien à mes sujets ? » Et elle parlait si haut (dit l’envoyé anglais à qui ce propos était adressé) qu’on l’entendait crier de la chambre voisine. Évidemment elle se détachait d’une possession grevée de tant de charges et qui semblait plutôt un dépôt confié à sa garde qu’une propriété dont elle fût maîtresse. Kaunitz, qui voyait naître en elle ce sentiment, se gardait de paraître l’exciter. Il le combattait, au contraire, en lui représentant que les Pays-Bas présentaient au moins cet avantage qu’en cas d’attaque c’était là que seraient portés les premiers coups, ce qui préserverait le cœur même de la monarchie. « Il vaut mieux, se plaisait-il à dire, avoir mal au pied et au petit doigt qu’aux parties nobles et vives du corps. » La comparaison était peut-être juste, mais ne pouvait-on pas en conclure d’avance que, si quelque jour la santé générale du corps entier exigeait l’amputation, on pourrait y consentir et elle ne paraîtrait pas trop douloureuse[1] ?

Mais l’Angleterre était loin de regarder les dangers que pouvait courir la sécurité des Pays-Bas avec cette liberté d’esprit voisine de l’indifférence. Pour elle l’indépendance de ces provinces,

  1. D’Arneth, t. IV, p. 372. — W. Coxe, House of Austria, t. V, p. 48-51. — C’est dans une correspondance datée de Compiègne, de Kaunitz avec Keith, et destinée à passer sous les yeux de l’impératrice, que j’ai trouvé la comparaison que je viens de citer.