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Notre légation prévint avec habileté les objections que la cour chérifienne aurait pu formuler, et quand, en février 1894, les enfans d’Abdesselam vinrent suivant l’usage passer une partie de leur deuil à la cour, le fils aîné Moulaï-el-Arbi put obtenir aisément la consécration du sultan pour l’héritage de son père : ses frères et lui furent bien reçus par Moulaï-el-Hassan qui leur témoigna une grande bienveillance, les assura de son amitié, et leur fit connaître son intention de châtier les Beni-Messara, populations rebelles voisines du territoire de la ville de Ouâzzan et dont les méfaits et les déprédations sont légendaires dans toute la contrée.

Il nous a paru utile de mentionner la façon calme dont les choses se passèrent au point de vue diplomatique après la mort du grand chérif, car on y trouvera une preuve que cette protection, accordée jadis avec tant d’à-propos par notre légation au chef des Taïbiya et continuée maintenant à ses descendans, ne saurait être le prétexte de difficultés avec le gouvernement marocain, bien que tout ce qui touche aux chérifs de Ouâzzan ait été trop souvent exploité et dénaturé, et que ce soit un véritable dédale où la presse d’Europe puise parfois ses plus admirables nouvelles à sensation. C’est aussi le terrain favori où s’exerce encore l’attention jalouse avec laquelle nos rivaux suivent, et souvent travestissent, la politique avisée et sage de notre légation durant ces dernières années.


VI

Avec le printemps de 1893, nous entrons dans la dernière partie du règne de Moulaï-el-Hassan, alors qu’il va mettre enfin à exécution un projet dont son entourage intime lui avait fréquemment entendu manifester le désir : se rendre en pèlerinage au tombeau de son ancêtre le fondateur de la dynastie des Filali, Moulaï-Ali-Chérif, qui, venu de Iambo, en Arabie, s’établit au Tafilelt, y acquit une grande réputation de science religieuse, fut nommé roi et y mourut en odeur de sainteté. Sa Majesté Ciiérifienne désirait par la même occasion étudier l’état politique où vivaient toutes les tribus de ces régions extrêmes de son empire. Le moment semblait favorable, car depuis la mort du chérif El-Arbi-el-Derqaoui, survenue deux ans auparavant, en octobre 1891, la diplomatie de la cour marocaine avait profité du désarroi causé dans les affaires du chef de la confrérie des Derqaoua.

Cependant, fidèle à ses habitudes, Moulaï-el-Hassan garda jusqu’au départ le silence le plus absolu sur son plan de campagne, règle dont il ne se départait jamais, soit qu’il pensât atteindre plus aisément les tribus en les surprenant, soit qu’il