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contributions de guerre. Moulaï-el-Hassan pouvait donc procéder victorieusement à son enquête sur l’état et sur la situation de cette contrée. Mais ce fut là aussi qu’il commit une des fautes politiques les plus lourdes de son règne, et dont il n’aurait pas tardé à sentir toutes les conséquences s’il avait vécu. Il s’agit de l’arrestation d’Ali-ben-Yahia, le chef redouté et tout-puissant des Aït-Iafelmane, qui servait de guide à l’armée chérifienne et que Moulaï-el-Hassan fît charger de chaînes, tandis qu’il chevauchait tranquillement aux côtés de ses troupes, pour ensuite le faire enfermer à la prison d’État de Merâkech. Ali-ben-Yahia était l’ennemi des Aït-Melghat, grande tribu voisine des Aït-Hadidou ; eux seuls se déclarèrent satisfaits de cet emprisonnement qui fut généralement blâmé ; mais l’effet fut déplorable dans tout le massif de la montagne et le jeune Si-Allal, fils de Mhaouch, — le meurtrier de l’oncle du sultan, Moulai-Serour, dont nous avons raconté la fin après la campagne de Beni-Meguiled en 1888, — et qui est destiné, depuis la mort de Moulaï-el-Hassan, à jouer un grand rôle parmi toutes ces populations, ne manquera pas de se servir de l’émoi causé par le procédé employé contre Ali-ben-Yahia pour ameuter la nation berbère contre le pouvoir nouveau du jeune Abd-el-Aziz. Dès que l’arrestation du malheureux Ali fut connue, on vit accourir sa mère, ses femmes, ses filles, ses esclaves, implorant comme une dernière grâce la mort de celui qui leur était si cher, afin de pouvoir comme suprême consolation prier sur sa tombe et honorer sa mémoire. Dans leurs âmes de sauvages primitives et incomplètes, à la fois rudes et tendres, ces infortunées se révoltaient à l’idée que leur ancien seigneur, dont la valeur et le courage étaient légendaires dans toute la montagne, serait par la suite traîné et enchaîné, ainsi qu’un vil malfaiteur, jusqu’à cette lointaine ville de Merâkech et qu’il y mourrait ignoré dans le silence et la nuit du cachot. L’impression générale fut mauvaise, et jusque dans le makhzen on critiqua cet acte : en effet, si des griefs sérieux existaient contre Ali ; si le sultan était justement courroucé de voir quels liens d’amitié avaient uni son puissant vassal aux Aït-Chokman détestés, les meurtriers de son vieil oncle ; si la tente de ce dernier avait été retrouvée dans la demeure d’Ali ; il n’en était pas moins acquis que le pouvoir chérifien aurait pu utiliser l’influence du chef des Aït-Iafelinane, qui récemment encore lui avait été d’un si précieux concours. N’étaient-ce point en effet ces mêmes Aït-Iafelmane qui, habilement opposés quelques années auparavant par El-Arbi-el-Derqaoui, avaient triomphé des Aït-Atta à la grande bataille de Telouine, sauvant ainsi les oasis et toute la vallée de l’Ouad-Ziz de l’envahissement ? A la vérité, Ali-ben-Yahia n’était point alors le chef