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les tombes historiques. Un jour de Pâques, M. Castelar est entré dans une église d’Andalousie. Le prêtre était à l’autel et lisait l’Évangile : « Le livre sacré racontait que, Jésus étant enterré depuis trois jours, Marie-Magdeleine et d’autres femmes étaient allées au sépulcre du Christ et l’avaient trouvé vide. Elles s’affligeaient grandement, pensant que l’on avait volé les restes du Sauveur, lorsqu’un très beau jeune homme, un ange, leur annonça que le Christ n’y était pas, que le Christ était ressuscité, miracle auquel elles ne pouvaient croire. Les femmes aveugles de l’Evangile, cherchant le Christ dans le sépulcre de pierre, m’ont rappelé les écoles réactionnaires. Oui, celles-ci cherchent le Christ où il n’est pas, dans le sépulcre du moyen âge, dans les murailles des castels féodaux, dans les chevalets de la torture, dans les fers des esclaves, dans le feu des bûchers, quand le Christ est ressuscité dans l’égalité, quand le Christ est partout où se brise la chaîne d’un opprimé et s’accomplissent la vérité et la justice[1] ! »

Mais un matin aussi, non pas trois jours, deux ou trois ans après qu’il eut été mis au tombeau, en Espagne même, le Christ ressuscita dans la liberté, et ce furent alors les écoles républicaines qui ressemblèrent aux femmes aveugles de l’Evangile et ne voulurent pas croire au miracle. Seul, M. Castelar ne détourna pas la tête, pour pleurer et ne pas voir. Ce ne fut pas pour lui une illumination soudaine, comme si l’Espagne, ce grand sépulcre, s’était subitement emplie d’une lueur éclatante, et il ne resta point, devant le surnaturel qui passait, muet de stupéfaction et de reconnaissance. Il l’arrêta plutôt et il l’interrogea : Ce miracle, jusqu’où irait-il ? Car il n’était, du premier coup, ni convaincu ni converti. La monarchie accorderait-elle ou accepterait-elle toutes ces libertés, tous ces droits nécessaires et, pour lui, Castelar, presque consubstantiels à l’homme ? Et l’un après l’autre, tous ces droits, une à une, toutes ces libertés, la Restauration les accordait.

La monarchie du ministère-régence se transformait peu à peu en monarchie vraiment parlementaire, avec deux grands partis qui se succédaient et se faisaient équilibre, la couronne étant neutre et comme sans poids entre les deux. M. Castelar avait déploré et blâmé la rapide accession au régime monarchique de M. Sagasta, qui, pour ne pas remonter plus loin, avait été, aux côtés de Serrano, le président du dernier ministère républicain ; apostrophant vivement ces ralliés, il les replongeait dans un passé gênant et plein de solidarités communes :

  1. Discursos de Emilio Castelar, 9 mai 1876, sur la Liberté religieuse, I, 363.