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Tous les vins de raisins secs sont donc, à l’état brut, incolores ou seulement jaunâtres.

Nous parlons de ces liquides au présent ; nous devrions en parler au passé, parce qu’ils sont en train de disparaître. A l’époque où le prix des vins naturels les plus ordinaires s’élevait à 30 ou 40 francs l’hectolitre, le raisin de Corinthe, qui valait 35 francs les 100 kilogrammes, ou le raisin de Thyra, qui n’en valait que 26, et dont le quintal fournissait trois hectolitres de vin alcoolique ou six hectolitres de piquette, pouvaient être d’un emploi avantageux. Aussi des usines s’étaient-elles constituées en bon nombre à Paris, à Marseille et à Cette pour l’exploitation de ce produit. La fabrication monta d’année en année jusqu’à 1890, où elle dépassa 4 millions d’hectolitres ; mais depuis cette époque elle n’a cessé de décroître : 1 700 000 hectolitres en 1891, 1 035 000 en 1892, et 800 000 seulement en 1893, sur lesquels la préparation familiale en représente 500 000 d’après les évaluations de la régie. Ce chiffre va baisser encore de moitié en 1894.

Les classes populaires ont continué à cuisiner leur vin, jusqu’à ce que la baisse de cette boisson au vignoble se fît sentir dans les prix de détail ; mais, si beaucoup de ménages brassaient eux-mêmes du vin de raisin sec pour leur usage privé, les industriels, fabricans de ce produit, n’auraient trouvé aucun particulier qui consentît à l’acheter sous son vrai nom. Ils ne traitaient donc qu’avec des négocians en gros : or ceux-ci, depuis les dernières récoltes, ont préféré s’approvisionner de vins de raisins frais. D’après les registres de l’octroi, que la loi oblige à tenir une comptabilité séparée pour les différens vins, selon leur nature, il était entré dans Paris, en 1891, 270 000 hectolitres de vin de raisin sec ; il n’en a été introduit que 95 000 en 1893. Il y a trois ans on comptait 113 fabriques ; ce chiffre décroît à 62 l’année suivante, et à 49 l’année dernière. Il n’en subsiste plus aujourd’hui que 18. Le vin de raisin sec a vécu. Ce liquide, qu’un député du Midi n’hésitait pas à comparer devant la Chambre, dans une image tout à fait hardie, « à une épée de Damoclès suspendue sur la tête des vins naturels », n’a pas attendu que le Parlement l’ait frappé d’un droit de douane de 100 à 140 pour 100 de sa valeur — 36 francs les 100 kilogrammes au tarif minimum.

Il en est de même de toutes les boissons que les représentans de la viticulture pourchassent aujourd’hui, après en avoir eux-mêmes encouragé la production : par exemple, du vin de sucre. Lorsqu’au moment de la récolte les raisins n’ont pas atteint le degré de maturité désirable et ne fournissent par conséquent qu’un vin médiocre, on y remédie par le sucrage ou chaptalisation,