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Quant à l’accomplissement de cette double réforme, nous allons d’abord en demander le roman aux Mémoires de Baini ; puis les Annales du docteur Haberl nous en fourniront l’histoire.

Pie IV, ayant à cœur d’assurer l’exécution des ordonnances du concile de Trente qui venait de se séparer, avait nommé pour cela, nous l’avons vu, une commission de huit cardinaux. Pie IV, un Médicis, était un pontife somptueux, ami de l’élégance et du luxe. C’est lui qui avait persuadé à ses cardinaux de laisser aux femmes l’usage des carrosses et de remettre en honneur la chevauchée en brillant équipage. Il avait le goût de la musique, à laquelle il gardait même de la reconnaissance, car autrefois un joueur de luth lui avait prédit ses hautes destinées. Voici l’anecdote que rapporte à ce propos Baini ; elle est bien dans la couleur de la Renaissance. Le cardinal Pisani avait coutume, pour fêter son anniversaire, de réunir à sa table et de traiter magnifiquement ses collègues du Sacré-Collège. Or il y avait alors à Rome un enfant merveilleux, le petit Silvio Antoniano, qui excellait à jouer du luth et à improviser des chansons. Un jour que le cardinal Pisani donnait un de ses festins, vers la fin du banquet il fit entrer Silvio, pour charmer et réjouir les illustres convives col fanciullo cantore, suonatore e poeta. Les cardinaux firent fête à l’enfant, et l’un d’eux, Ranuccio Farnèse, ayant pris un bouquet, le lui donna pour qu’il le remît lui-même à celui des porporati qui devait un jour ceindre la tiare. L’innocente garzoncello, après avoir parcouru des yeux l’assemblée, marcha vers le cardinal Gian Angelo de Médicis et posa sur ses genoux la promesse embaumée ; puis, détachant le luth qui pendait à son cou, avec une grâce exquise il se mit à chanter les louanges du pontife qu’avaient désigné les fleurs. Lorsqu’en 1564 Pie IV institua la commission cardinalice, il n’avait sans doute pas oublié cette histoire.

Les cardinaux s’empressèrent de déléguer deux d’entre eux, le cardinal Vitellozzo et le cardinal Borromée, pour organiser la réforme musicale[1]. D’accord avec un certain nombre de chanteurs pontificaux qu’ils s’étaient adjoints, les deux prélats décidèrent la proscription des mélodies profanes et aussi des paroles capricciose, c’est-à-dire étrangères à la liturgie. Quant à l’intelligibilité du texte, les cardinaux la réclamaient impérieusement ; mais les chanteurs y voyaient un sérieux obstacle dans le système existant alors de la polyphonie, du contrepoint vocal, et des imitations. Leurs Eminences avaient beau citer en exemple les Improperia de

  1. Baini.