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Le capital nécessaire à une agence de province en marche normale est peu important : 6 à 7 pour 100 du montant des dépôts à vue et des comptes créditeurs lui suffisent. La difficulté c’est d’avoir un bon directeur ; tout le succès dépend de lui. Il doit être prudent et sévère pour l’escompte du papier, actif et insinuant pour la formation de la clientèle. S’il n’a que les premières qualités, il ne fait pas d’affaires ; s’il n’a que les secondes, il en fait, mais il perd de l’argent. Plusieurs fois, depuis trente ans, il a été question de l’union des banquiers des départemens, en une agence centrale fondée à Paris, à leur usage. C’est l’évolution inverse qui s’opère : loin d’envahir la capitale, la province est envahie par elle.

Une gravure humoristique de l’époque du Directoire représente le départ du député remplacé, gros et gras ; l’arrivée du remplaçant sec et maigre. Bataille des maigres et des gras, mollesse et quiétude des satisfaits, énergie et labeur des ambitieux, n’est-ce pas la loi constante du progrès, de la vie, du monde ? L’agent du Crédit lyonnais, fraîchement débarqué, ayant sa fortune à faire, a fait le tour de la ville pendant que l’ancien financier local demeure immobile en ses bureaux. De façon ou d’autre, soit qu’ils vendent leur maison au Comptoir d’Escompte, qui en a acquis plusieurs, soit que simplement ils liquident, les banquiers de chefs-lieux sont en train de disparaître.

Il en est qui méritent d’être regrettés. Ils ont droit à un souvenir reconnaissant, ces prêteurs héréditaires et respectables, pères des commerçans du cru, les aidant volontiers de leurs conseils, les tirant au besoin d’un mauvais pas, lançant et commanditant des jeunes gens capables et sans ressources. C’est une pièce de l’ancien mécanisme social qui se renouvelle, et se transforme en un mécanisme plus dur, plus banal et plus parfait. Le vice de ces maisons patriarcales et chancelantes était de majorer inconsciemment le taux de l’intérêt. Elles achetaient l’argent des dépôts jusqu’à 6 pour 100 et le vendaient 10 et 12 pour 100 à l’épicier, au marchand de tissus ou de meubles. Le crédit obtenu à ce prix soutient aujourd’hui le commerçant qui y recourt, comme la corde soutient le pendu. Les bénéfices généraux du négoce de détail ne permettent plus de payer de pareils taux, sans aller à la faillite par une route semée de fleurs. Or le plus clair des gains du petit banquier n’avait pas d’autre source. J’ai sous les yeux le résumé sincère des opérations de l’un d’eux. Son bénéfice annuel s’élève à 19500 francs ainsi répartis : escompte de papier essentiellement commercial 4 000 francs ; coupons, ordres de bourse et profits divers 2 000 francs ; agio de papier de crédit 13 500 francs. Ce papier-là n’est pas autre chose qu’une série