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et dans cette relation flatteuse et récente, il y allait au moins autant de sa sentimentalité que de sa poche. Le « style » extérieur du petit vicomte l’avait envoûté. Olivier avait rencontré, en celui-ci, le modèle rêvé pour les tendres détails de l’élégance intime : cravates, opinions, lingerie, gestes et gants. Il en aurait baisé les traces de chic. C’était là son « chiqueur » de cœur, par opposition avec Tarsul, qui était le monsieur sérieux, importun d’autorité, le vieux qui conseille, son vieux... Aussi, l’une de ses méditations préférées s’exprimait-elle souvent ainsi : « Nous attendons Lucierre. »

En ce soir d’Ozerpie, lorsque l’on dut se mettre à dîner sans ce dernier, — qui toutefois survint au second service, — Olivier Bréhand en fut quitte pour varier le tour de sa formule, mais toujours sur le ton de la câlinerie. Et quand il eut offert le bras à la princesse Nagear pour gagner la salle à manger, dans la façon dont il ne lui restait qu’à dire : « N’attendons plus Lucierre ! » il parut moins que jamais dépossédé de lui. Il sut encore, jusqu’à un certain point, jouir du nom de l’ami qui, aux deux sens du mot, lui était vraiment cher, et se parer de son absence.

Le maître de maison, aussitôt à table, ouvrit la conversation sur le chapitre de la chasse à courre. C’était un sujet auquel il s’était laborieusement préparé. Et il ahurit son auditoire restreint, par l’abondance dans laquelle il ajouta, à l’énumération de ses chevaux pour invités et de ses espèces de chiens, une terminologie spéciale, où il n’était question que de faux rembuchemens, d’hallalis courans, et de viandis au gagnage. Tarsul goûtait une joie de perversité sans mélange à contempler comment la bouche d’Olivier, en articulant les nobles termes de vénerie, semblait vouloir en retenir pour soi un peu de leur consécration. L’effort que cette bouche, malgré tout vulgaire, faisait de la sorte pour s’aristocratiser, retraçait, autour d’elle, les sillons creusés jadis par ses amertumes de petite bureaucratie. Et c’était un délice, pour l’observateur, de voir reparaître, — sous l’effet des plus hautes prétentions, — les sinuosités hargneuses que l’habitude de solliciter, ou celle de récriminer autrefois, derrière le dos tourné des chefs et des sous-chefs, avait dû, sans doute, ainsi marquer là. Mais le nouveau grand-veneur n’en continuait pas moins à se griser progressivement de la « qualité » de ses paroles ; il se sentait s’élever avec elles, vers les sphères supérieures de la mondanité, dans un parfum sportif de chenil et d’écurie, de sueurs animales et de fientes sauvages.

Sa belle-sœur de Grommelain, tout obligée de la facilité qu’elle avait rencontrée auprès de lui pour faire venir son petit