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soupçonnés de peindre de la sorte, ne se doutent guère que c’est la pure méthode pré-raphaélite qu’ils persiflent ainsi. Ce l’est à ce point, qu’un commentateur autorisé de Ruskin, après avoir longuement exposé les théories du maître, en arrive à déclarer que « chaque masse doit être peinte, séparément et peinte en une seule fois, que voilà la parfaite et idéale manière de peindre un tableau » et, pour qu’on ne puisse s’y méprendre, il ajoute : « La parfaite méthode de peindre est donc de faire une mosaïque[1]. » Une mosaïque, c’est aussi le mot que M. Quilter croit le plus propre à faire comprendre ce qu’est la peinture de Hunt, — et il a raison. Une toile sur le chevalet de ce peintre a des parties entièrement finies et d’autres entièrement blanches. L’artiste achève une figure, puis passe à la suivante qui n’a encore que sa silhouette au crayon, sur le canevas nu. Lorsqu’il est parvenu au bout et qu’il n’aperçoit plus de blanc sur le canevas, le tableau est fait. Comment, maintenant, les couleurs mises dans un coin répondent-elles d’avance à celles qu’on mettra dans un autre ? Comment toutes ces figures qui ne sont pas nées, qui n’ont pas grandi ensemble, qui ne sont pas contemporaines, mais qui ont été successivement créées de toutes pièces, — la première remontant peut-être à trois ans, la dernière à peine embue, — se conviendront-elles, s’associeront-elles, se lieront-elles les unes aux autres ? On sent combien ce détail de facture réagira sur l’harmonie générale des couleurs et, par cette harmonie des couleurs, sur l’effet d’ensemble. On comprend que si l’on amène toutes les parties d’un tableau au degré de fini qu’on désire, graduellement, par couches successives, en repeignant, si besoin est, toute la toile dans la même gamme de couleurs, dans le même sentiment, en prenant garde qu’un ton trop vif à droite n’attaque un ton nécessaire à gauche, en modifiant, dès le début, tout ce qui, juste ou beau en soi, pourra nuire à telle ou telle couleur qu’on a posée ailleurs, on atteint plus aisément l’harmonie que si l’on pousse séparément chaque figure jusqu’à son dernier fini. Et ainsi l’on ne peut s’étonner si, lors même qu’elles sont justes en soi, les couleurs des Anglais ne s’accordent point entre elles, et, si ayant déjà manqué les grands contours du dessin, qui sont la synthèse des formes, ceux-ci manquent encore l’air, l’atmosphère, qui est la synthèse des couleurs.

D’où vient cette horreur de la facture large ? Encore du préraphaélisme et de sa tentative désespérée pour substituer le ton vif au ton chaud. En effet, dans la réaction des P. R. B. contre le brun, il n’eût servi de rien de chercher des couleurs éclatantes,

  1. Collingwood, The Art teaching of John Ruskin.