Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette expérience, il résulte aussi cette leçon, que si nous voulons élever une plante exotique, nous devons lui procurer, par des moyens bien raisonnes, l’équivalent de ce qu’elle trouve sous son ciel : air, lumière, chaleur, humidité, repos, en un mot, tout ce que la nature élabore pour faire vivre ce qu’elle crée et anime.

Autre chose bien étrange, à première vue ; on dirait que cette nature, elle si parfaite et qui prévoit tout, s’est plu à rendre impossible la reproduction des Orchidées. Il est avéré qu’elles resteraient stériles, si, comme Ta fait observer Darwin dans son beau travail sur leur fécondation, des insectes ne leur servaient d’intermédiaires, ou si le battement d’aile d’un oiseau, ou un vent violent ne brisait l’opercule qui couvre leur pollen. Celui-ci mis à nu tombe sur le stigmate ou la partie supérieure du pistil qui le fixe, grâce à une matière gommeuse qu’il sécrète.

Il y a mieux : il existe une Orchidée sensitive, c’est la Masdevallia muscosa, importée de la Nouvelle-Grenade vers 1875, décrite par Reichenbach et commentée par Darwin.

Le labelle de cette fleur est pourvu d’une crête, dans laquelle réside le siège de sa sensibilité : le moindre contact suffit pour l’agiter, et lorsque ce contact est prolongé, le labelle s’élève vivement et se projette contre le gynostème ou la colonne. Si donc un insecte vient à se poser sur la fleur et à toucher la crête du labelle, il est aussitôt jeté et enfermé dans la prison formée par le labelle appliqué contre la fleur. Il ne peut s’échapper que par une étroite ouverture située près de l’anthère, et il emporte avec lui les masses polliniques, qu’il ira déposer sur une autre fleur.

Il est à noter encore que les ovaires et la trompe florale sont recouverts de cils abondans, qui servent évidemment à empêcher les insectes rampans de pénétrer dans la fleur.

Dès qu’une fleur d’Orchidée a été fécondée, elle se ferme peu à peu ; ses belles couleurs se ternissent, son parfum s’évapore, les pétales et les labelles se fanent. L’ovaire, lui, grossit d’une façon étonnante. Le maximum de son développement est atteint dans le tiers du temps qui lui est nécessaire pour arriver à complète maturité. Comme il est certain qu’avec les Orchidées nulle règle n’existe, on ne sera pas surpris d’apprendre que les Cypripedium, cette tribu connue sous le nom vulgaire de Sabot de Vénus, font exception. La fleur ne se flétrit pas tout de suite, ainsi que cela a lieu chez les autres fleurs d’Orchidées. Au lieu de se fermer lentement, elle reste longtemps épanouie. Un savant orchidophile, M. Bleu, a fécondé lui-même des fleurs de Cypripedium ouvertes depuis un mois, et il a pu les conserver dans toute leur fraîcheur trois semaines encore.