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les moyens d’amener une réconciliation commerciale entre les Français et les Suisses. Les chefs de cette ligue, pleins de leur sujet et emportés par l’ardeur de la polémique, ont, ce semble, dès l’abord, dépassé le but. Si on les en croyait, la France aurait, dans cette affaire, tous les torts, ce qui n’est pas. Il ne lui resterait qu’à faire son mea culpa et à capituler. Elle a certes mieux à faire, et c’est de négocier.

Les Suisses ont eu le tort d’attribuer la décision de la Chambre à des mobiles qui n’existaient pas. Là où il ne fallait voir qu’un attachement peut-être exagéré à un principe général, l’autonomie du tarif français, ils ont vu une disposition dédaigneuse, presque un propos délibéré d’insulte, et, comme ils sont intelligens, actifs, autant que résolus à rendre procédé pour procédé, ils se sont faits producteurs eux-mêmes de certaines des marchandises qu’ils tiraient naguère de chez nous et que d’autres pays ne pouvaient leur procurer. Ils ont demandé d’autres de ces marchandises aux nations voisines, avec lesquelles ils venaient tout récemment de conclure des traités commerciaux, Allemagne, Belgique, Autriche et Italie, et, quant aux produits qu’ils ne pouvaient ni fabriquer eux-mêmes ni tirer d’ailleurs, ils n’ont continué à nous les acheter que dans la mesure du strict nécessaire, se refusant le superflu. De là cette diminution de 50 millions dans le montant de leurs achats chez nous.

Cette situation si fâcheuse peut-elle s’amender? Sans doute, mais l’association qui a entrepris de faire cesser le malentendu entre les deux pays, a manqué d’abord, tout au moins, de la prudence diplomatique la plus élémentaire. Est-ce une bonne façon d’ouvrir des négociations avec un adversaire que de lui déclarer de prime-saut qu’on ne peut plus vivre, si on ne se met d’accord avec lui ? On a pu se tromper en deçà du Jura; une erreur d’égale importance a été commise au delà. Il faut bien constater cependant que, jusqu’ici, les Suisses ne sont pas disposés à avouer un tort quelconque, et qu’au contraire, à notre tarif général, ils ont opposé une barrière douanière bien plus rigide encore. Ils ne consentent à considérer l’opportunité d’abattre cette barrière que si nous avons d’abord démoli de notre côté. Lorsque M. Numa Droz, ancien président de la Confédération, est venu discourir à Mâcon, il n’a parlé que de nos torts, sans faire la plus discrète allusion à ceux de la Suisse. Il eût peut-être été bon qu’un des membres de l’association française en fît la remarque et ne laissât pas ce soin à M. Méline. M. Numa Droz a dit, entre autres choses: « Vous n’arriverez pas à vos fins. Les produits que nous achetions chez vous, nous les achèterons ailleurs. Bien plus, nous développerons à outrance nos industries et nous vous ferons une