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des mosaïques, des prières ou des maximes, écrites en latin et destinées à fortifier les fidèles dans les luttes de la vie : Exaudi, Deus, orationem meam. — Spes in Deo semper. — Si deus pro nobis, quis contra nos ? Mais ce qui excite surtout leur ardente curiosité, c’est la prédication de l’évêque. Comme on écoute, quand c’est Cyprien du Augustin qui parle, quand il explique les vérités de la foi ou traite une de ces questions du moment qui passionnent tout le monde ! Ceux mêmes à qui le latin n’est pas familier, parviennent à suivre et à deviner, à force d’attention ; d’autant plus que ces grands personnages savent se mettre à la portée des plus humbles. Saint Augustin, un si parfait lettré, un ancien professeur, commet volontairement des fautes de grammaire et emploie des mots incorrects pour être saisi de tout le monde : « J’aime mieux, disait-il, que les savans se fâchent que si mes auditeurs ne comprenaient pas. » L’église était donc pour beaucoup de ces pauvres gens ce qu’était l’école pour la bourgeoisie.

C’est dans les derniers siècles de l’empire, au moment où le christianisme triomphait, que le latin a dû devenir la langue dominante de l’Afrique. Non seulement il était parlé dans les villes, mais il n’est pas douteux qu’il n’ait pénétré aussi dans les campagnes ; une partie des 20 000 inscriptions qui composent nos recueils épigraphiques vient de là. Ce sont là, comme partout, les épitaphes qui l’emportent ; elles nous montrent que des gens de toute condition, et des conditions les plus basses, des tailleurs, des bouchers, des cordonniers, des affranchis et des esclaves, ont souhaité qu’on mît quelques mots de latin sur leur tombe.

Naturellement le latin de ces pauvres gens est souvent un très pauvre latin. Les fautes y abondent : il n’y a pas lieu d’en être étonné. On a pourtant voulu en tirer des conséquences fort extraordinaires ; il a semblé que c’était une preuve de barbarie, et l’on a prétendu qu’une société où l’on parlait si mal le latin n’avait dû être qu’effleurée par la civilisation romaine. Mais c’est justement le contraire qui est la vérité. Si les inscriptions étaient d’une correction irréprochable, on pourrait supposer qu’elles n’ont été rédigées que par des lettrés de profession, et qu’au-dessous d’eux on ne comprenait que les idiomes du pays. Les impropriétés de termes, les erreurs de grammaire, les solécismes et les barbarismes qu’on y rencontre presque à chaque ligne, nous montrent que nous avons affaire à des ignorans, qu’ils parlent mal le latin, mais qu’au moins ils le parlent. Ce n’est donc pas simplement une langue d’école et d’apparat, dont quelques pédans se servent par vanité ; c’est une langue d’usage, et, comme toutes celles qui sont vivantes, elle s’approprie aux gens qui l’emploient