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son intervention avait consisté à faire cesser le feu. L’occasion a paru bonne à quelques orateurs pour remettre en question le degré ou du moins la nature de l’obéissance que le soldat ou l’officier inférieur doit à ses chefs, problème de casuistique qu’il est toujours dangereux d’agiter et où les Chambres s’égarent le plus souvent. Au surplus, lorsqu’un homme comme le maréchal Canrobert vient à disparaître, ce n’est pas dans quelques détails de sa longue carrière qu’il faut le juger, mais dans l’ensemble de sa vie. Canrobert, nous l’écrivions il y a quinze jours, n’a été qu’un soldat, mais il l’a été au suprême degré. Peu fait pour les les grandes responsabilités, il était un agent d’exécution incomparable. Sa modestie égalait d’ailleurs son courage ; il savait se dévouer, se sacrifier, se mettre de côté, jusqu’au moment où résonnaient les premiers bruits de la bataille. Alors il était admirable, et l’héroïsme se dégageait de lui pour se communiquer à tous. On a dit de certains hommes qu’on devient brave rien qu’en les regardant : Canrobert était de ceux-là. Aussi, avec le concours du temps qui avait consacré sa gloire et fait de lui le dernier des maréchaux de France, était-il devenu un symbole : il était le représentant attitré de notre vieille armée d’Afrique, de Crimée et d’Italie. Le gouvernement s’est honoré par l’initiative qu’il a prise, et le cœur de la France, qui ne s’inspire pas des passions et des préjugés des politiciens, était avec lui. Tandis que la foule oisive et frivole se précipitait au-devant de M. Rochefort, amoureuse de mouvement et de bruit, l’imposante cérémonie des Invalides correspondait au sentiment même de la patrie.

Il y a peu de chose à dire des débats parlementaires qui se sont succédé depuis quinze jours. La Chambre a fini par se consacrer tout entière au budget, et il n’était que temps. M. Ribot, président du Conseil, a montré dès le premier moment une très ferme résolution de ne pas se livrer et s’abandonner aux questions et interpellations qu’il plairait à tel ou tel de lui adresser. La Chambre lui en a su gré, car elle ne demande qu’à travailler. Seulement elle le fait avec lenteur. Elle en est à son premier budget, et tant de discours ont été préparés en vue de cette discussion que rien ne peut les empêcher de s’épancher à la tribune. Chaque député nouveau croit avoir des idées nouvelles et tient à les exprimer; les anciens espèrent qu’ils seront plus heureux en développant les leurs devant la Chambre actuelle qu’ils ne l’ont été avec les assemblées précédentes. Il en résulte que de tout petits budgets comme celui de l’agriculture ou des postes, remplissent plusieurs journées, et l’on tremble en songeant à ce qu’exigeront certains autres. Certes, un troisième douzième provisoire est indispensable ; on le savait, on s’y attendait; mais, au train dont on marche, il est à craindre qu’un quatrième ne le devienne à son tour. S’il en est ainsi il faudra trouver de nouveaux moyens pour équilibrer le budget Les deux premiers douzièmes nous ont coûté 8 millions : deux autres