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d’offrir sa démission au sultan. Malgré les instances de ses collègues, il persista dans sa détermination. Dans les communications, leur dit-il, que lui avait faites la veille le premier drogman russe, rien ne lui avait laissé pressentir l’acte désobligeant dont il venait d’être personnellement l’objet : on l’avait donc prémédité, et il ne pouvait garder plus longtemps les fonctions qu’il tenait de la confiance de son souverain. Fuad-Effendi, s’il avait consulté sa conscience, aurait reconnu que l’envoyé du tsar n’avait pas, sans motifs, manqué aux lois de la courtoisie. Il avait, en effet, trempé dans des supercheries diplomatiques imaginées pour mettre tout le monde d’accord dans l’a flaire des Lieux saints, mais qui n’avaient pas moins, si parfaites que fussent les intentions, surpris également la bonne foi de l’ambassade de France et celle de l’ambassade de Russie. Les faibles procèdent ainsi sans prévoir qu’ils sont toujours les seules et dernières victimes de pareils expédiens.

Mais est-ce bien la question de Jérusalem qui a amené le prince Menschikoff à Constantinople ? Je ne l’ai jamais pensé. Quel dommage en avait souffert l’Eglise d’Orient ? de quel sanctuaire l’avions-nous exclue et qu’avait-on à lui restituer ? Aucun et rien. La Russie pouvait-elle décemment exiger qu’on privât les catholiques de la simple participation, dans l’église de la Vierge ? de la faculté d’y célébrer leurs offices alternativement avec les Grecs, l’unique avantage qui leur eût été réellement concédé ? et pour un aussi mince résultat eût-on mis en mouvement un envoyé extraordinaire, avec un retentissement d’un éclat solennel ? C’était au moins invraisemblable. Ces considérations et des incidens d’une autre nature autorisaient donc à croire qu’on avait d’autres desseins, et me persuadèrent, en me rassurant, que les réclamations que nous avions portées à Constantinople n’avaient exercé qu’une action occasionnelle sur les déterminations de la Russie. La mission du prince Menschikoff avait un objet bien différent. Dès le 4 mars, cinq jours après l’arrivée du nouvel envoyé, j’écrivais en effet : « Si je dois en croire des bruits recueillis à des sources dignes de foi, l’ambassadeur de Russie devait obtenir de la Porte la reconnaissance de la souveraineté du prince de Monténégro et son indépendance ; — des garanties pour tous les chrétiens de l’Église d’Orient avec la faculté, pour le gouvernement russe, de protéger leurs droits religieux ; — l’établissement de rapports directs et obligatoires entre le synode de Constantinople et celui de Pétersbourg ; — un règlement définitif des questions relatives aux Provinces danubiennes ; — une nouvelle délimitation de frontières en Asie. » Ce que l’on se proposait c’était donc d’asseoir, sur des bases nouvelles et solides, l’influence du gouvernement russe en