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majorité construits. La fabrication des rails et des locomotives a disparu dans plusieurs usines. D’autre part l’exportation a beaucoup décru. Sur une production totale de 150 000 tonnes, le Creusot n’en exporte pas plus de 10 000 : divers pays traversent une crise financière ; d’autres, où nous trouvions des débouchés fructueux, ont appris à s’outiller eux-mêmes, comme la Russie ou les Etats-Unis. Ils ne sont plus nos cliens ; bientôt sans doute ils seront nos rivaux. Or les commandes de l’étranger avaient absorbé jusqu’ici une portion notable de notre activité : la compagnie de Fives-Lille, par exemple, qui ne fabrique pas le fer et se borne à le mettre en œuvre, mais qui occupe le premier rang dans sa spécialité, a, depuis sa fondation en 1861, exécuté des charpentes et des ponts métalliques tonnant ensemble 181 millions de kilos. Là-dessus il n’y a pas eu plus de 81 millions pour la France ; tout le reste a passé la frontière. Ces sources de richesses sont menacées de tarir…

Mais laissons l’avenir ; voyons le présent et le passé le plus proche : un certain nombre de forges sont très prospères, les unes parce qu’elles ont eu la bonne fortune d’exploiter quelque temps un monopole, — c’est le cas des usines de l’Est, — les autres parce qu’elles ont eu depuis une date reculée une direction à la fois audacieuse et économe. Le Creusot est de ce nombre ; c’est uniquement à ce facteur qu’il doit son succès. Créée au capital de 4 millions en 1837, la société « Schneider et compagnie » a été portée par des versemens successifs, de 1847 à 1873, à 27 millions divisés en 75 000 actions, dont la valeur originelle est de 360 francs. Ces actions sont aujourd’hui cotées, à la Bourse de Lyon, aux environs de 2 000 francs, et ont touché, pour les derniers exercices, un dividende de 96 francs nets.

L’acheteur primitif reçoit donc aujourd’hui un intérêt de 26 pour 100 de sa mise, mais il ne le reçoit que depuis fort peu de temps et il n’est nullement certain qu’il le conserve toujours. Jusqu’en 1891, le revenu de l’action ne dépassait pas 80 francs ; avant 1880, il n’atteignait en moyenne que 50 francs, et pendant les quinze années qui suivirent la fondation, il fut des plus modestes. En 1848 la situation était encore très périlleuse. Si l’on considère le Creusot depuis son origine, en soudant aux 27 millions de la compagnie actuelle les 30 millions qui avaient été risqués et perdus par trois couches de capitalistes malheureux, le bénéfice global de l’entreprise devient moitié moindre. Il s’agit pourtant du plus gros succès connu, d’une société dont le président est traité dans la presse, à la mode américaine, de « roi du fer ». Ce dividende, il ne nous est pas permis de l’analyser, d’en faire connaître la substance. Mais si l’on décomposait les élémens qui, en