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exemple, quelques-uns des conseils qu’il prodigue aux poètes :

« Tout d’abord, le poète moderne ne doit pas avoir lu ni lire jamais les anciens auteurs latins et grecs, par la raison bien simple que les anciens Grecs et Latins n’ont jamais lu les modernes.

« Il ne devra pas connaître davantage la métrique du vers italien, mais en avoir seulement quelque notion superficielle qui lui ait appris que le vers se forme de sept ou onze syllabes ; et avec cette règle il pourra en composer à volonté de trois, de cinq, <le neuf, de treize, et même de quinze…

« Le poète moderne ne soignera pas le style du drame, en réfléchissant qu’il doit être entendu par la vile multitude… Il pourra également transporter ses drames français en italien, mettre la prose en vers, tourner le tragique en comique, ajouter ou retrancher des rôles à la volonté du directeur…

« Il donnera pour accessoires à sa pièce des prisons, des poignards, des poisons, des lettres, des chasses à l’ours, des combats de taureaux, des tremblemens de terre, des flèches, des sacrifices, etc., a lin que le public soit fortement secoué par ces objets imprévus… »

Des poètes, Marcello passant aux compositeurs, ne les épargne pas davantage :

« Le maestro moderne coupera le sens et la signification des paroles, surtout dans les grands airs, en faisant chanter par l’artiste le premier vers (bien que ce vers seul ne signifie rien par lui-même), puis en introduisant aussitôt une longue ritournelle pour les violons ou les violes…

« Il pressera ou ralentira le mouvement d’un air, selon le caprice des chanteurs, et dissimulera le mécontentement que lui fait éprouver leur insolence, en se disant que sa réputation, son crédit et ses intérêts sont dans leurs mains, et que, par ce motif, il doit changer sans se faire prier les airs, récitatifs, dièses, bémols ou bécarres…

« Quand le chanteur en sera à la cadence, le maître de chapelle fera taire tous les instrumens et laissera le virtuose ou la cantatrice libre de prolonger cette cadence aussi longtemps qu’il leur plaira. Il donnera peu d’attention aux duetti et aux chœurs et tâchera qu’on puisse les supprimer à volonté…

« S’il entre dans les airs des mots tels que Padre, Impero, Amore, Arena, Regno, Beltà, Lena, Core, etc., ou des adverbes comme no, senza, già, etc., le compositeur moderne écrira sur ces mots de longues roulades, de façon à ce qu’ils soient prononcés ainsi : Paaaadre, Impeeeero, Amoooore, Areecena,