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création, en avant de la ligne occupée, d’une zone dangereuse assez profonde pour interdire à l’assaillant l’accès même du terrain d’où il aurait pu soit ouvrir un feu individuel ajusté, soit s’élancer à l’assaut.

De là à conclure que c’était une faute que de s’avancer à découvert sur un terrain ainsi battu, que l’assaillant, une fois parvenu à distance efficace de tir, devait s’arrêter et tirer, tirer jusqu’à ce qu’il ait forcé l’adversaire à quitter la place, il n’y avait qu’un pas, et l’école nouvelle n’hésita pas à le franchir.

Ainsi le feu de l’infanterie devenait vraiment tout-puissant, lui seul pouvait donner le succès, et son mode d’emploi était la gerbe lancée à grande distance.

Plus de feux individuels faits par des tirailleurs visant séparément et directement un but distinct et défini, mais des feux d’ensemble par groupe, exécutés méthodiquement à la voix d’un chef. Le tir individuel est un tir fait à distance relativement courte sur un objet que le tireur voit et qu’il vise : le tir « en plates-bandes » n’est plus un tir ajusté, ni même souvent un tir direct ; ce n’est plus un point précis qu’il faut atteindre, c’est une surface qu’il faut battre. Le chef pointe, en réalité, toutes les armes de sa troupe ; il calcule le nombre de fusils à mettre en action, de projectiles à tirer, apprécie les causes qui peuvent agir sur le tir, donne la hausse, et fait exécuter le feu ; les hommes ne sont plus que les supports animés d’une mitrailleuse vivante.

Partant, plus d’offensive au sens propre du mot, plus de mouvement continu en avant, plus d’assaut final, plus de choc… Ce sont les souvenirs d’un autre âge, des pratiques surannées et périlleuses. Dès lors, pourquoi se torturer l’esprit à chercher des formations d’attaque nouvelles, des procédés d’offensive inédits ? Il n’y en a pas, et, dût-on en trouver, ils seraient inutiles ! Toute la tactique réside dans l’art d’utiliser savamment et selon les données de la science les propriétés balistiques du fusil moderne, et, à ce point de vue, offensive et défensive se valent : elles manient un instrument d’égale valeur. Jusqu’alors on avait trouvé profit à l’élan, à l’ardeur dont le mouvement en avant animait le soldat, à l’excitation morale, contre-coup de l’animation matérielle développée par la chaleur du combat. La science a changé tout cela : l’élan n’est plus qu’un danger et l’ardeur une faute.


VIII

Voilà donc où étaient arrivés en France vers 1878 les esprits les plus avancés, ceux qui se flattaient de personnifier la tactique