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titre privatif, in severalty les terres des Omahas, des Winnebagos et des Nez Percés d’Idaho, environ 5 000 Indiens en tout, administrant un million d’acres ; chacun d’eux a son petit bien[1] ; ils cultivent maintenant près de 500 000 acres ; le reste est ou sera vendu à des colons blancs. Tandis que l’œuvre philanthropique proprement dite portait ainsi des fruits presque inespérés, j’attachais une tout autre importance encore à cette partie de ma tâche qui doit ouvrir l’esprit et le cœur des Indiens à la connaissance de notre race, et je découvrais de plus en plus que l’Indien est un homme digne de notre attentive considération. Des travaux minutieux accomplis avec amour sur les chants indigènes attesteront, j’espère, l’affection que je porte aux chanteurs. J’aurais voulu seulement pouvoir faire mieux et davantage. »

Parmi les travaux d’ethnologie et d’archéologie américaines que miss Fletcher a fournis au Peabody Muséum, la musique des Omahas tient une place particulièrement intéressante. Son long séjour parmi eux et la confiance qu’elle sut leur inspirer lui permirent de pénétrer le sens de beaucoup de choses qui pour un observateur ordinaire fussent restées incompréhensibles ; dans la musique notamment on peut dire qu’elle a surpris leur âme.

« — Chez eux, explique-t-elle, la musique enveloppe d’une atmosphère toutes les cérémonies religieuses et sociales, toutes les expériences personnelles. Les rites en sont comme embaumés : la reconnaissance pour la création du maïs et des animaux qui procurent la nourriture, la vénération des puissances de l’air et du soleil qui féconde, tout cela passe dans la musique. Des chants spéciaux accompagnent les exploits du guerrier et lui charment la mort, hâtant l’arrivée de l’esprit sur les plages de l’avenir ; les enfans composent des chansons pour leurs jeux ; les jeunes gens mêlent de la musique à leurs exercices, les amoureux se font écouter en chantant ; le vieillard évoque de la même façon les agens protecteurs de ses derniers jours ; la musique est aussi, pour les Indiens, le médium grâce auquel l’homme entre en communion avec son âme et avec les puissances qui règlent sa destinée. Les chants d’une tribu représentant son héritage, beaucoup se les sont transmis de génération en génération. »

Miss Fletcher n’arriva pas sans peine à comprendre le sens

  1. En vertu du bill obtenu par miss Fletcher, et signé par le président des États-Unis le 7 août 1882, les chefs de famille ont droit chacun à 160 acres de terre ; les orphelins et les célibataires au-dessus de dix-huit ans, à 80 acres ; tout individu au-dessous de cet âge à 40 acres.