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de la grandeur du rôle auquel avaient été conviés par la Convention ces maîtres illustres.

Cette mission pédagogique confiée par les pouvoirs publics à des professeurs auxquels il amène par la main leurs élèves, des élèves qu’il paie pour se rendre à Paris et qu’il paie encore pour y subsister, voilà l’innovation capitale, celle qui atteste le mieux combien sont profonds les changemens qui se sont accomplis dans la société française. Quand on parcourt les cahiers de 1789, on y voit se manifester partout la pensée que l’Etat ne doit se décharger que sur ses mandataires du soin de former l’âme des enfans et des jeunes gens. Les trois ordres s’accordent à réclamer une éducation nationale[1] : lancé par les parlementaires dans leurs projets de réforme, le mot avait fait fortune. Du moment que l’Etat revendique cette responsabilité, son premier devoir, c’est d’instruire lui-même les maîtres par l’intermédiaire desquels son action s’exercera sur les élèves, à tous les degrés de l’enseignement, dans ces écoles primaires que l’on travaillait alors à multiplier, dans les écoles centrales, l’équivalent de nos lycées, qui allaient s’ouvrir, et dans les hautes écoles où s’achèverait la culture des esprits destinés aux carrières libérales. À ce prix seulement, on aurait chance de réussir à créer un système d’instruction qui produise des effets constans, ce qui permettra d’obtenir le résultat passionnément désiré : malgré l’inégalité des âges et des conditions, tous les adolescens, fils d’une même patrie, seront nourris des mêmes maximes et recevront, plus ou moins fortement imprimée dans leurs âmes, l’empreinte d’une même conception du monde et de la vie.

C’est bien là, quoique nous ne la trouvions nulle part formulée avec cette rigueur, l’idée qui a présidé à la fondation de l’Ecole. L’importance du service que rendrait cette maîtresse pièce de la machine, on la sentait si bien que, dès le début, Lakanal et Garat avaient, sans le dire tout haut, entretenu l’espoir de manœuvrer en sorte que l’Ecole, de temporaire devînt permanente, au même titre que celle qui s’appellera bientôt l’École polytechnique. L’Ecole normale devait être, dans leur pensée, « le degré le plus élevé de l’instruction publique ». « Il faut, écrivait Garat à Lakanal, que l’Ecole normale soit la première école du monde. » Ces hautes ambitions, on dut beaucoup en rabattre, par la faute des circonstances et par celle des auteurs du projet. Ceux-ci ne s’étaient pas rendu un compte exact de ce qu’ils voulaient et pouvaient faire du personnel, maîtres et élèves, dont

  1. L. Liard, l’Enseignement supérieur en France, t. Ier, p. 108-110.