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l’Ecole, n’aient point gardé de ces amitiés fidèles que ne réussissent point à relâcher les séparations momentanées et où l’on retrouve toujours le charme des entretiens à plein cœur, des conversations de la vingtième année, où deux âmes s’ouvrent l’une à l’autre sans réticence ni calcul, sans la crainte des paroles répétées et des engagemens irréfléchis qui seraient mal à propos rappelés.

Cet internat est, a-t-on dit quelquefois, pour ceux qui le subissent, une gêne et presque une humiliation ; il diminue le sentiment de la responsabilité ; il énerve la volonté. Ceux qui parlent ainsi n’ont pas vécu de notre vie ; ils n’ont aucune idée de nos rapports avec nos élèves. Ceux-ci, nous les traitons en hommes ; jamais nous ne nous permettrions de douter de leur parole. « Ils ne sont pas libres, insiste-t-on, d’aller ou de venir. S’ils travaillent, c’est parce qu’ils y sont contraints, parce que, dans leur prison, ils n’ont pas d’autre manière de tuer le temps. Vous ne les laissez pas se faire à eux-mêmes leur règle de vie. » La réponse est facile. Les portes de cette geôle sont bien souvent ouvertes à deux battans ; cette réclusion comporte bien des momens de liberté. Le temps est loin où, comme en 1815, c’était une grande faveur que d’être autorisé à sortir une fois par mois, après vêpres ; on aurait même peine à comprendre, aujourd’hui, que M. Cousin ait cru aller jusqu’aux dernières limites des concessions possibles, lorsqu’il décida, en 1836, que les élèves sortiraient une fois par semaine, le dimanche, de neuf heures du matin à huit heures du soir. Aujourd’hui, on est libre tout le dimanche et les après-midi du jeudi. Il y a aussi le chapitre des permissions de minuit, qui sont fréquentes. Le directeur reçoit, à l’adresse de ses élèves, des billets pour les bals de l’Elysée et de la Ville ; il ne les refuse pas, comme M. Michelle ne manquait jamais de le faire sans nous demander notre avis. L’Ecole aime et cultive la danse ; elle a même son bal de charité, qui a donné parfois de beaux bénéfices à la caisse de son Association des anciens élèves. Une autre occasion de franchir la grille, c’est les cours du dehors ; lorsqu’ils en reviennent, ceux qui aiment la promenade s’arrangent pour prendre le plus long, « afin que cela les amuse », comme disait La Fontaine.

À l’intérieur même de l’Ecole, l’intervention des maîtres surveillans est très discrète. Les distractions abondent. Les journaux ne sont plus proscrits et pourchassés comme de mon temps, ni ceux des livres de la bibliothèque qui passent pour amusans mis sous clef. La lampe sur laquelle va bouillir l’eau du thé ou du café s’allume souvent dans les salles d’étude ; elle provoque les