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la Porte ni l’Egypte. Voulait-elle indiquer par-là que ces droits, dont elle avouait avoir entendu parler, étaient devenus caducs et qu’il n’y avait plus lieu de s’en embarrasser ? Alors il fallait s’entendre avec d’autres puissances encore que l’Allemagne, et c’est ce qu’elle n’avait pas fait. Qu’en est-il résulté ? M. Hanotaux a dénoncé à la tribune le traité anglo-congolais comme étant à ses yeux nul et non avenu, et trois mois après il n’en restait plus un seul article debout. Ce jour-là, un premier coup, et décisif, a été porté à l’arrangement privé passé, en 1890, entre l’Allemagne et l’Angleterre. A un fait, nous avions répliqué par un fait. Certes, le discours de sir Edward Grey n’est pas un fait, mais seulement une thèse : il fallait y répondre par une antithèse. M. Hanotaux n’y a pas manqué. Il a déclaré qu’il attendait des explications, qu’on ne lui fournissait jamais, avant de dire sa pensée sur l’arrangement de 1890, et, ce jour-là, l’arrangement s’est trouvé contesté en droit. On commence à voir tout ce qui lui manque.

Après cela, on peut laisser passer sans y attacher plus d’attention qu’elle n’en mérite la petite manifestation à laquelle viennent de se livrer les « négocians de Londres intéressés dans les affaires d’Egypte et du Haut-Nil ». Sachons gré à ces trafiquans de ne s’être pas dissimulés sous un masque patriotique, ou simplement impérial : avec eux, on voit tout de suite à qui on a affaire. Ils ne trompent pas leur monde et, comme on dit, n’y vont pas par quatre chemins. On avait trouvé généralement, même en Angleterre, que M. Chamberlain avait lourdement appuyé sur les côtés les plus fâcheux du discours de sir Edward Grey : il a trouvé plus maladroit que lui. La Chambre de commerce a approuvé et confirmé la déclaration des « négocians intéressés dans les affaires d’Egypte et du Haut-Nil », laquelle est ainsi conçue : « Le gouvernement de Sa Majesté ayant déclaré qu’en conséquence des revendications britanniques (telles qu’elles sont exprimées dans les traités et dans les déclarations), et en conséquence des droits de l’Egypte dans la vallée du Nil, la sphère d’influence britannique s’étend à tout le cours du fleuve, » etc. Le langage de sir Edward Grey méritait, en somme, d’être traduit dans ce style platement commercial. Au surplus, cela n’engage personne, pas même le gouvernement anglais, qui n’est lié que par ses déclarations diplomatiques, probablement différentes de ses élucubrations parlementaires. Comment ne pas déplorer que des questions aussi délicates que celles qui s’agitent sur le Haut-Nil et sur le Bas-Nil, et qu’il est plus que jamais impossible de séparer, soient traitées avec autant de légèreté et d’inadvertance ? Quand on songe à tous les bienfaits que l’accord de la France et de l’Angleterre procurerait au continent noir, on ne peut que s’affliger de l’obstination avec laquelle quelques personnes entretiennent un malentendu entre ces deux puissances. Il reste, heureusement, l’énergie des entreprises individuelles que sir Edward Grey, et