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ne tarda pas à en abuser ; il prit bientôt un ton absolu et décisif qui déplut au général en chef. Dugommier avait une réputation et un caractère qu’on ne dominait pas : ses plans étaient à lui, et des conseils trop officieux n’y changeaient rien. Bonaparte commandait l’artillerie provisoirement, par l’absence du général Léblé (sic) et celle du commandant Donmartin, qu’une blessure grave avait forcé de se retirer sur Marseille. Ce n’était pas assez pour lui de ce commandement important, il fallait qu’il se mêlât de tout et de tout le monde. Impatienté de ses observations et de ses insinuations, tour à tour adulatrices et violentes, Dugommier invita Bonaparte à rester dans la sphère de son commandement : il le lui ordonna d’un ton ferme et qui ne permettait pas de répliquer.


II

Les désordres avaient cessé devant le nouveau général en chef. Déjà il avait ordonné toutes les dispositions défensives ; ensuite, dans un conseil de guerre, il nous lut son plan d’attaque, qui fut unanimement adopté. Mes collègues restèrent auprès du chef. J’allai prendre mon poste à la division de gauche, commandée par Lapoype.

L’armée assiégeante de Toulon ne dépassait pas vingt-cinq mille hommes : l’ennemi en opposait trente mille. Les Espagnols et les Anglais, principaux maîtres de cette ville, avaient réparé les forts et établi de nouvelles batteries ; celle de Malbousquet était maîtresse de toute la plaine. Dugommier répara la faute de nos artilleurs, qui nous laissaient ce désavantage. Dans une nuit, sur le haut d’un rocher, il construisit la terrible batterie de la Convention, qui domina l’ennemi.

Plusieurs sorties avaient été repoussées ; et le général O’Hara, poursuivi et enveloppé par nos grenadiers, était tombé en notre pouvoir. Enfin, le jour convenu, le 18 décembre, Toulon fut attaqué sur tous les points ; le combat fut sanglant. Dugommier s’empara de toutes les redoutes et des retranchemens élevés par l’ennemi : il le délogea aussi des positions formidables de Balaguier et de l’Aiguillette, dont il s’était emparé par la négligence de Bonaparte à perfectionner les moyens de défense en cet endroit, où il aurait dû placer de la grosse artillerie ; et, devenu maître de ces postes importans, Dugommier ordonna à Bonaparte d’en prendre possession. Celui-ci exécuta ce mouvement avec une lenteur qui facilita aux assiégés l’évacuation de Toulon, qui eut lieu le 19 décembre. Avant de se retirer, quand l’ennemi jugea ne pouvoir plus se maintenir dans la ville, il incendia les vaisseaux