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sacrées de la patrie ne pouvaient être méconnues. Mon oncle, Auguste Barras, dont les opinions paraissaient suspectes alors, ne se trouva pas heureusement dans la ville rebelle. Mme Lapoype, qui avait si généreusement favorisé l’évasion de nos secrétaires des cachots de Toulon, n’avait pu les suivre quand ils s’échappèrent de la ville. Lors du siège, la première bombe qui fut tirée tomba dans sa chambre, et son mari commandait une division de l’armée assiégeante ! Mme Lapoype fut miraculeusement sauvée.

La perte des ennemis fut évaluée à dix mille hommes. Nous prîmes plusieurs arrêtés pour rétablir l’ordre, et l’on fit cesser tout pillage, suite malheureuse d’une pareille catastrophe. C’étaient les sectionnaires eux-mêmes, premiers auteurs de tant de malheurs, qui étaient les premiers pillards. Les effets laissés par les rebelles et les ennemis furent évalués à deux millions. Un million fut affecté en indemnité à l’armée.

Tout ce que je viens de retracer établit assez la trahison et les massacres commis par la classe des privilégiés d’une ville dont la classe populaire fut toujours dévouée à la République. L’armée assiégeante fut bien loin d’exercer dans sa victoire les vengeances que la malveillance lui attribua. On voit que l’exécution des ordres plus que rigoureux des comités de gouvernement fut suspendue et ajournée.

Saliceti, Moltedo et Ricord restèrent à Toulon ; ils furent ensuite remplacés par d’autres députés. Ceux-ci amenèrent avec eux des hommes déconsidérés qui facilitèrent de nouvelles réactions. Ces réactions du Midi sont de celles dont on ne peut assigner la fin. Commencées à Avignon, à Marseille, à Toulon, dans tous les pays circonvoisins, avant 1793, elles se prolongeront à des époques bien avancées, sous la Convention, sous le Directoire. Croirons-nous qu’elles aient jamais été éteintes, lorsque le ci-devant comtat d’Avignon deviendra, en 1815, le nouveau théâtre d’un des plus épouvantables crimes qui aient été commis de mémoire d’homme, l’assassinat du maréchal Brune, que ses bourreaux ont eu l’impudente férocité de travestir en un suicide ? Cette invention n’a aucun exemple pareil dans l’histoire : elle est toute moderne !

La reprise de Toulon vient sans doute de prendre sa place dans l’histoire, parmi les grands faits d’armes qu’elle conservera. Sa gloire ne risque point d’être effacée par ce qu’il est réservé aux armées de la République de conquérir bientôt. Quelque brillans que puissent être des triomphes postérieurs, ils ne peuvent obscurcir, encore moins effacer, ceux qui les ont précédés. Celui dont je parle a le mérite incontestable d’être l’un des premiers