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BOUTOU-KELY
SOUVENIRS DE LA VIE MALGACHE


I

Aussitôt que j’eus ramené mon interprète Jean Fararane en son pays, ce gamin s’empressa de prendre femme... Une fiancée de quatorze ans échut à cet amoureux de quinze : Madeleine, fille de mon cordonnier Rainizafy...

Dès lors, ce vieux Malgache crut convenable et peut-être avantageux d’engager avec moi des luttes de générosité.

— Voici les bottines que vous m’avez commandées... Elles sont bien finies, vraiment très belles... Cependant j’hésite à vous en demander le prix. Devons-nous exiger un salaire de nos parens? Depuis que mon gendre a quitté l’autre côté pour revenir à Tananarive, vous le traitez bien, le nourrissez bien, l’habillez bien et prenez soin de sa petite fortune... Vous êtes son père et sa mère. Ma fille est votre bru. Vous serez le grand-père de mes petits-enfans...

Cette alliance ne suffisait pas pourtant à assurer entre nous une confiance réciproque. L’homme blanc inspire au nègre une crainte naturelle; puis, l’indigène de Madagascar, constamment et cruellement exploité par ses chefs, soupçonne toujours chez un supérieur quelque arrière-pensée de lucre ou de tyrannie. Enfin les appréhensions de Rainizafy redoublaient sans doute en raison des avertissemens reçus d’en haut; les agens du palais surveillaient étroitement les maisons françaises ; et tout sujet de la reine, suspect de fréquenter chez moi, risquait d’expier durement le mince avantage de mon amitié.

De mon côté, j’observais une prudente réserve. Je connaissais