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Notre abbé n’était pas le pédant incorrigible qu’on pourrait croire, d’après les commencemens que j’ai rapportés. Il avait jeté sa gourme scolastique à l’Université de Paris et dans la société de son premier protecteur, ce Paul de Foix que la mort allait bientôt lui enlever, en 1584. A Rome, toutes ses aptitudes se tournent vers la négociation, vers la pratique prudente et déliée des affaires ; elles absorberont désormais son intelligence et sa vie. Il les mania à divers titres, presque toujours en marge de la diplomatie officielle, telle que nous la concevons aujourd’hui.

Ce que nous appelons maintenant « la carrière » n’existait pas à cette époque, au moins en France: tout au plus y avait-il quelque chose d’approchant dans la république de Venise et dans le service du roi d’Espagne. Chez nous, un grand seigneur se rendait à une Cour pour un objet défini, avec une mission individuelle et temporaire ; il attachait à sa suite des gentilshommes pour l’apparat, des serviteurs intimes, des clercs le plus souvent, pour la rédaction des écritures et les conversations d’affaires avec les secrétaires du souverain près de qui l’on négociait. Entre temps ou à côté de ces ambassades, des agens bénévoles s’entremettaient, soit qu’ils possédassent la confiance du roi, soit qu’ils eussent simplement une confiance intrépide dans leurs propres talens et l’amour d’un art où le succès n’allait pas sans profits. A Rome surtout, au centre où venaient aboutir et s’enchevêtrer toutes les négociations de la chrétienté, sur ce terrain ecclésiastique miné pas les sapes et contre-sapes tortueuses, les agens officieux étaient légion ; chaque puissance en avait quelques-uns à sa solde, cliens sûrs ou réputés tels, sujets authentiques de leur prince, ou familiers italiens du pape gagnés aux intérêts du prince étranger. Les affaires spirituelles et temporelles étaient indifféremment traitées par l’ambassadeur, quand il y en avait un, par le cardinal protecteur spécialement chargé des intérêts de la nation, par quelque prélat moins en vue qui avait ses petites entrées au Vatican et une correspondance active avec sa Cour. En un pareil milieu, « où il y a, disait d’Ossat, plus de finesse qu’en tout le reste du monde, » rien ne peut remplacer l’expérience d’un résident inamovible, vieilli dans les stalles de Saint-Pierre ou du Latran, portant la robe de ceux qu’il doit persuader, ombre discrète parmi ces ombres silencieuses, l’oreille toujours ouverte à leurs demi-confidences, la bouche toujours prête pour la parole qu’il faut dire, qu’une voix connue insinuera mieux, qui effarouchera moins si elle ne tombe pas du carrosse d’un représentant attitré. Pour la France en particulier, ce fut une tradition constante d’entretenir à Rome des prélats romains restés bons et actifs Français : ils éclairaient les malentendus, ils adoucissaient