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LECONTE DE LISLE INTIME


D’APRÈS


DES NOTES ET DES VERS INÉDITS 


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Leconte de Lisle occupait dans le « Parnasse français », au moment de sa mort, la situation unique et souveraine que les Anglais donnent à leur « poète lauréat ». Jeunes ou vieux, tous ses confrères lui rendaient hommage, unanimes à reconnaître qu’il avait achevé de rendre le vers plus parfait. Et cependant Leconte de Lisle ne connut jamais cette grande popularité qui fit cortège à Lamartine et à Victor Hugo. On l’admirait de loin, avec un respect mêlé de crainte ; ses plus ardents admirateurs osaient à peine lui apporter leur hommage ; — nul avec lui ne se sentait tout à fait rassuré. Lui-même avait rêvé cette domination et cet isolement ; et longtemps il se complut dans sa solitude. Mais sur la fin de sa vie il en souffrit, et il découvrit enfin son cœur à ceux qui, durant tant d’années, n’avaient connu que son génie. C’est dans le désir de faire mieux aimer ce cœur timide, cette âme haute, que ces notes ont été rédigées avec piété.


I


Bourbon. — Une île qui contient en abrégé toute la nature ; depuis le volcan embrasé, dont les laves en coulant font fijser la mer, jusqu’aux pics glacés des monts couverts de neiges éternelles ; depuis les forêts de palmiers géants, où les colibris nichent dans les lianes, jusqu’aux palais de coraux, pourpres et roses, aux enchevêtrements étranges, où circulent les poissons nacrés, où les hautes lames s’arrêtent et s’écrasent sur les récits blancs.

C’est là, sur la côte qui regarde l’Afrique, à Saint-Paul, que le poète naquit en 1818. Dans une note rédigée pour servir un jour à sa biographie, il nous apprend lui-même qu’un de ses aïeux, le marquis François de Lanux, avait dû quitter la France