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Les morts et les malades sont déchargés par les soins des gardiens, sous le contrôle d’un médecin de la Santé. Les morts sont étendus à terre et les drogmans des consulats s’efforcent de reconnaître leurs ressortissans. Le plus souvent ceux-ci ont été déjà dépouillés de leurs papiers, passeports ou billets de retour et de leur argent. On procède immédiatement à leur enterrement. Pendant des heures, c’est un défilé continuel de brancards portés sur les épaules au pas de course. Dans le cimetière, la porte, les allées sont encombrées de gens épuisés, infortunés qui ont trompé la surveillance au passage de la barrière et qui attendent la fin de leurs souffrances, les yeux hagards, presque dans le coma. Le brancard mortuaire est basculé; une femme est là, près d’une table, qui lave les cadavres suivant les prescriptions de la loi musulmane; puis, couverts ou non d’un suaire, les corps sont portés dans de longs caveaux rectangulaires où. ils sont rangés par lits superposés, dont le dernier vient affleurer la terre. Quand le caveau est plein, on obstrue la porte avec quelques pierres enduites de mortier et l’on passe au caveau voisin. Voilà pour les morts! Revenons aux malades.

Tous ceux qui n’ont pas pu tromper sur leur état les gens de garde à la barrière sont déposés près de la porte du café, puis transportés dans l’intérieur ou, suivant les nécessités du moment, dirigés sur d’autres maisons ou hangars inhabités, à quelque distance de là. Rien n’est plus poignant que le spectacle de ces malheureux, râlant, étendus qui sur des lits de paille, qui sur des matelas ou des nattes sordides, qui sur la terre nue; c’est un véritable dépôt de condamnés à mort; car pour les agens du service, tout malade est a priori un cholérique. Il y a là vraisemblablement des hommes qui ne sont qu’épuisés par l’âge, la fatigue et les privations, qui supplient de les faire sortir, de leur donner au moins de l’eau et quelque nourriture. Mais les alimens, même sommaires, et l’eau, ne sont distribués qu’aux malades qui ont sur eux de quoi payer. Or le pécule d’un grand nombre de ceux qui viennent échouer ici a déjà été épuisé ; et l’on devine comment les gardiens exploitent ceux qui ont réussi à conserver encore quelque pièce d’argent. D’ailleurs les derniers chameaux ont à peine passé la barrière, que le médecin de service rentre en ville, et laisse le gardien maître de la situation. Pendant l’année 1893, qui a été, il est vrai, exceptionnelle, on a trouvé à de certains jours dans les litières jusqu’à 300 morts et 400 malades.

Il faut avoir vu les embarquemens à Djeddah pour se rendre compte de la difficulté d’un contrôle. Le navire est envahi de tous côtés, par l’avant et par l’arrière, par bâbord et par tribord, Là