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qu’elle soit, un brin de jasmin, un œillet ou une rose, à l’une des marchandes qui traversent les ateliers. J’ai observé qu’après trente ans, les femmes se résignaient à porter le dahlia, cette fleur lourde et sans grâce…

J’en ai dit assez pour faire entendre que le charme de Séville est moins dans ses monumens que dans les détails de la vie populaire, moins dans l’aspect de ses rues que dans la physionomie de ses habitans, dans la douceur de son climat et la beauté de ses campagnes. J’ai passé toute une semaine, une des meilleures de mon voyage, à étudier la grande ville andalouse, à courir aux ruines romaines d’Italica, à visiter les herbages où s’élèvent les taureaux de course, les forêts de Villamanrique, les marismas du bas Guadalquivir. Parmi ces journées heureuses, j’en choisirai deux ou trois, et je les raconterai.


UN BEAU DIMANCHE A SÉVILLE

Ce matin, accompagné d’un Français qui habite Séville, et qui la connaît merveilleusement, je pars à l’aventure. Nous sonnons à la grille d’une très jolie maison située dans une toute petite rue. Vous n’ignorez pas que c’est une mode arabe, et une mode commandée par le soleil, de construire de vrais palais dans des ruelles extrêmement étroites et souvent très tournantes, mais peut-être ne savez-vous pas que ces maisons, qui paraissent ouvertes, sont, au contraire, jalousement gardées. A travers la grille, très fine et ouvragée, on aperçoit la cour, des fleurs, des portes. Mais elle n’obéit pas pour un coup de sonnette, cette grille légère ! Une servante apparaît, à l’une des fenêtres, en face, et invariablement demande : « Qui êtes-vous ? » Il faut répondre et dire ensuite ce que l’on veut. Puis la domestique disparaît, s’informe, et ne laisse franchir le seuil qu’après autorisation. Le système du cordon est tout à fait inconnu. Mon ami avait des intelligences dans la place ; nous entrons.

— Voyez, me dit-il, la cour est pavée de marbre, les murs sont revêtus de marbre, les colonnes qui forment cloître au rez-de-chaussée et qui soutiennent l’étage sont de marbre également. Vous avez ici le modèle des maisons sévillanes. Elles ne sont jamais occupées qu’à moitié. En hiver, on habite le haut. En été, on s’installe en bas. Il y a deux cuisines, deux salons, double série de chambres.

Nous allons à gauche, en effet, au fond de la cour, et nous trouvons la cuisine d’été ouverte aux deux extrémités, simple passage où les courans d’air doivent abonder, entre le patio et