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courriers, sur toutes les routes, et de ne donner de chevaux à personne. Il fallut attendre, cependant, que les copistes eussent couché en belle écriture les expéditions. En attendant, Bonaparte emmena les Autrichiens chez lui. Le travail prit une partie de la soirée. À mesure que la nuit approchait, Bonaparte se montrait de plus aimable humeur. Il déploya toute la grâce de son esprit, toute la richesse de son imagination, et mit sous le charme les Autrichiens, qu’il avait naguère si fort malmenés. La nuit venue, il empêcha que l’on allumât les bougies et s’amusa à raconter des histoires de revenans. Enfin, à minuit, on apporta des lumières ; le traité était prêt. Il fut signé chez Bonaparte, mais daté de Campo-Formio, le 17 octobre. À deux heures du matin, Monge, commissaire pour le choix des objets d’art et des manuscrits à transporter d’Italie en France, et le général Berthier partirent en poste pour Paris avec l’instrument de la paix. Bonaparte avait choisi à dessein, pour celle mission, un savant, ancien ministre de la Convention, républicain éprouvé, qu’il savait plein de confiance en sa vertu et plein d’admiration pour son génie. Avant de quitter Cobenzl, il s’excusa de la violence à laquelle il s’était un moment abandonné. « Je suis, lui dit-il, un soldat habitué à jouer ma vie tous les jours ; je suis dans tout le feu de la jeunesse, je ne puis garder la mesure d’un diplomate accompli. » Ils s’embrassèrent. Ils devaient se revoir.


III

Cobenzl et Bonaparte, Bonaparte surtout, avaient beaucoup pris sur eux en signant ce traité. Ils comptaient cependant que leurs gouvernemens le ratifieraient, tout en le blâmant, parce que les peuples étaient, en Allemagne comme en France, excédés de la guerre. Il fallait, ne fût-ce que pour préparer une lutte nouvelle, accorder un répit aux hommes et leur donner l’illusion passagère de la paix.

L’empereur déclara que la paix de l’Empire se négocierait sur le fameux principe de l’intégrité de l’Allemagne. Thugut n’était dupe ni des déclarations qu’il faisait aux Allemands ni des engagemens qu’il prenait avec la France[1]. Sa première impression fut celle de la colère. Il eut un bel accès d’indignation de cour et d’État. On allait traiter sans les Légations qui auraient assuré à l’Autriche l’hégémonie de l’Italie ! On donnait la paix sans démembrer l’État pontifical ! On se contentait de dépecer, à la polonaise, une république décrépite ! Ce n’étaient point là des

  1. Sybel, t. V, p. 129 et suiv. — Hüffer, p. 463 et suiv. — Vivenot, Corr. de Thugut, lettres des 22-29 octobre ; id. Thugut, Clerfayt, Wurmser.