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VII

Le soir du Vendredi Saint, ils repartirent pour Rome.

Avant le départ, sur les cinq heures, ils prirent le thé. Ils étaient taciturnes. La vie simple qu’ils avaient vécue dans cet hôtel leur apparut, au moment où elle allait finir, extraordinairement belle et désirable. L’intimité de ce modeste logis leur apparut plus douce et plus profonde. Les lieux où ils avaient promené leurs mélancolies et leurs tendresses s’éclairèrent de clartés idéales. C’était donc encore un fragment de leur amour et de leur être qui tombait anéanti dans l’abîme du temps.

George dit :

— Cela aussi est passé !

Hippolyte dit :

— Comment vais-je faire ? Il me semble que je ne pourrais plus dormir ailleurs que sur ton cœur.

Ils se regardèrent dans les yeux, se communiquèrent leur émotion, sentirent que le flot montant leur serrait la gorge. Ils se turent, ils écoutèrent le bruit régulier et monotone que faisaient dans la rue les paveurs battant le pavé. Mais ce bruit fastidieux augmenta leur malaise.

George se leva et dit :

— C’est insupportable !

Ces chocs cadencés irritaient en lui le sentiment de la fuite du temps, qu’il avait déjà si vif ; ils lui inspiraient cette sorte de terreur anxieuse, si souvent éprouvée déjà en écoutant les oscillations du pendule ; Et cependant, les jours précédons, ce bruit ne l’avait-il pas bercé dans un vague bien-être ? Il pensa : « Dans deux ou trois heures, nous nous séparerons. Je recommencerai ma vie habituelle, qui n’est qu’une série de petites misères. Mon mal habituel me reprendra inévitablement. D’ailleurs je connais les troubles que le printemps suscite en moi. Je souffrirai sans trêve. Et je pressens déjà qu’un de mes bourreaux les plus impitoyables sera l’idée qu’Exili m’a enfoncée dans la tête. Si Hippolyte voulait me guérir, le pourrait-elle ? Peut-être ; en partie du moins. Pourquoi ne viendrait-elle pas avec moi dans un lieu solitaire, non pas pour une semaine mais pour très longtemps ? Elle est adorable dans l’intimité, pleine de menues prévenances et de grâces mignonnes. Peut-être réussirait-elle à me guérir par sa présence assidue, ou du moins à me rendre la vie plus légère. »

Il s’arrêta devant Hippolyte, lui prit les deux mains, lui demanda :