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C’est M. Besnard, avec ses esquisses aventureuses, emportées et brûlantes, de femmes hardies et fardées. Ce sont MM. Girardet et Girardot, l’un avec plus de précision, l’autre avec plus de finesse. Aux Champs-Elysées, c’est M. Gérome, qui, comme d’habitude, ne nous laisse plus rien à chercher, nous imposant, avec sa maîtrise patiente et soutenue, l’autorité d’une vision à qui rien n’échappe, dans la Prière dans la Mosquée Caïd-Bey, c’est M. Bompart qui, venant d’Afrique, rencontre à Venise M. Saint-Germer, l’un de ceux qui comprennent le mieux la poésie des marbres brûlés et dorés se reflétant dans l’eau sombre des canaux endormis (la Confrérie de Saint-Marc, à Venise).

Il n’est pas permis à tous d’aller à Corinthe, Alger, Thèbes, ni même Venise. Nos ciels troublés, nos rues fangeuses, nos verdures grises, nos mers assombries suffisent d’ailleurs largement à renouveler le talent des peintres qui savent les voir et les aimer. Nos marins, nos paysans, nos ouvriers, avec leurs types énergiques et francs, sont même bien plus faits pour nous émouvoir que des Bédouins de passage ou des Italiennes d’aventure. C’est naturellement sur des tons moins éclatans, par des accords plus graves de gris et de noirs, que leurs peintres nous racontent leurs travaux et leurs misères. La vie maritime, comme toujours, a inspiré quelques bonnes toiles dramatiques, l’Abandonné (un marin tombé à la mer, qu’on ne peut sauver, que le prêtre bénit du haut du navire emporté), par M. Couturier, au Champ-de-Mars ; la Stella maris (la Vierge apparaissant aux naufragés), par Mme Virginie Demont-Breton, aux Champs-Elysées. On a vraiment le cœur serré devant les Pauvres gens de M. Troncy, tant leur résignation navrée, en faisant queue dans l’attente d’une distribution de vivres, est simplement exprimée. Le travail des champs et des villes trouve toujours des narrateurs sincères, émus ou exacts dans MM. Jules Breton, Adan, Tattegrain, Haquette, Laugée, etc., auxquels il faut joindre : aux Champs-Elysées, Mme Duhem, MM. Léon Giffard, Adler, Junès ; au Champ-de-Mars, MM. Moutte, Charles Meissonier, Muenier, L. Gros, Lahaye, David-Nillet, etc.

La vraie force, dans les deux Salons, des artistes qui étudient les campagnards ou les citadins, c’est d’être, en même temps, presque tous, d’habiles et sincères paysagistes, ne séparant pas les gens de leur entourage naturel, les regardant toujours sous leur vraie lumière. Ce sont ces habitudes, prises depuis une vingtaine d’années, qui contribuent le plus heureusement à varier et animer ce qu’on appelait autrefois la peinture de genre dont la monotonie et la froideur tenaient en grande partie à l’emploi trop fréquent du modèle et du mannequin dans l’atelier. S’il n’y a guère de peintres de