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courir, le moyen s’offrirait spontanément, par une suggestion soudaine à laquelle il serait forcé d’obéir.

Pendant qu’il procédait aux soins de sa toilette, la préoccupation le hantait de préparer son corps pour la tombe. En lui apparaissait cette espèce de vanité funéraire qu’on remarque chez certains condamnés et chez certains suicidés. En observant ce sentiment sur lui-même, il le rendait plus intense. Et un regret lui vint de mourir dans cette petite ville obscure, au fond de cette province sauvage, loin de ses amis qui peut-être ignoreraient longtemps sa mort. Si au contraire l’acte se fût accompli à Rome, dans la grande ville où il était fort connu, ses amis l’auraient pleuré, ils auraient sans doute donné au tragique mystère une parure de poésie. Et, de nouveau, il essayait de se représenter ce qui suivrait sa mort : son attitude sur le lit, dans la chambre de ses amours ; l’émotion profonde des âmes juvéniles, des âmes fraternelles, à l’aspect du cadavre reposant dans une paix austère ; les dialogues de la veillée funèbre, à la lueur des cierges ; le cercueil couvert de couronnes, suivi par une foule de jeunes hommes silencieux ; les paroles d’adieu prononcées par un poète, par Stefano Gondi : « Il a voulu mourir parce qu’il n’a pu rendre sa vie conforme à son rêve » ; et puis la douleur, le désespoir, la folie d’Hippolyte…

Hippolyte !… Où était-elle ? Qu’éprouvait-elle ? Que faisait-elle ? « Non, pensa-t-il, mon pressentiment ne me trompait pas ! » Et il revit en imagination le geste de l’amante qui abaissait la voilette noire sur le dernier baiser ; et il repassa en esprit les petits faits finaux. Pourtant, une chose qu’il ne parvenait pas à s’expliquer, c’était l’acquiescement presque absolu de son âme à la renonciation nécessaire et définitive qui le dépossédait de cette femme, naguère objet de tant de rêves et de tant d’adorations. Pourquoi, après les fièvres et les angoisses des premiers jours, l’espérance l’avait-elle abandonné peu à peu ? Pourquoi était-il tombé dans la désolante certitude que tout effort serait inutile pour ressusciter cette grande chose morte et incroyablement lointaine, leur amour ? Pourquoi tout ce passé s’était-il si bien détaché de lui qu’en ces derniers jours, sous le coup des récentes tortures, il en avait à peine senti quelques vibrations se répercuter nettement dans sa conscience ?

Hippolyte ! Où était-elle ? Qu’éprouvait-elle ? Que faisait-elle ? À quels spectacles s’ouvraient ses yeux ? De quelles paroles, de quels contacts subissait-elle le trouble ? D’où pouvait venir que, depuis deux semaines, elle n’eût pas trouvé le moyen de lui envoyer des nouvelles moins vagues et moins brèves que quatre