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leur tour dans les celliers. Les eaux-de-vie, logées plus loin, s’étagent depuis la « Grande-Champagne 1830 » à 30 francs la bouteille, jusqu’à la « Marmande (de fantaisie) » à 1 fr. 75 le litre. Sur celle-ci le fisc prélève 1 fr. 20, à Paris ; pour peu que le marchand, auquel il ne reste que 0,55, se pique d’ajouter au « trois-six » souple et fin, coloré par du caramel, une petite quantité d’armagnac chargé de donner le bouquet au mélange, il risque de ne pas gagner un centime sur cette spécialité.

La parfumerie, installée dans un autre corps de bâtiment, offre une grande variété de travaux : ainsi l’eau de Cologne, filtrée devant nous, a pour base le néroli, dont le kilogramme pur coûte de 300 à 500 francs. Ce parfum n’est autre ; chose qu’une huile recueillie goutte à goutte, à la surface de l’eau de fleur d’oranger, pendant la distillation de cette dernière ; ce qui explique comment les eaux de Cologne de basse qualité se trouvent sentir la fleur d’oranger, dont le néroli n’a pas été assez exactement séparé. Le kaléidoscope d’odeurs, venues depuis l’entrée dans l’usine chatouiller le nerf olfactif, — âcreté tannique des fûts vides de vin rouge, arôme entêtant des alambics en marche, — se déploie ici en un arc-en-ciel de senteurs douces ou fortes, simples ou composites, qui ont pour mission de s’assujettir notre odorat.

Il en va de même dans la section des sirops, dans celle des gelées et des confitures. Les jus destinés aux deux préparations ne se ressemblent nullement. Ils doivent être pour les sirops dépourvus de mucilage, de toute la partie charnue du fruit ; sinon le liquide, trop épais, risquerait après cuisson de passer à l’état solide : on évite cet écueil et l’on obtient l’épuration désirable en faisant subir aux fruits, avant de les pressurer, une fermentation légère qui les dépouille. Aux confitures le « corps » est indispensable ; la fermentation les priverait de cette saveur du fruit frais dont elles doivent se rapprocher le plus possible. Aussi se borne-t-on à conserver en vases clos les liquides extraits de la groseille, les prunes et abricots séparés de leurs noyaux, préalablement soumis à l’action de la vapeur. Moyennant cette précaution, on peut fabriquer des confitures toute l’année, au jour le jour, au lieu de les confectionner d’un bloc au moment de la maturation de chaque espèce ; système qui avait le désavantage de livrer au public des produits durcis, recouverts d’une croûte de sucre. L’atelier de confitures, qui dispose d’appareils perfectionnés de cuisson dans le vide, est dirigé par un vétéran, médaillé du travail, qui compte dans la maison trente-deux années de services.

Il fait partie, à la Villette, d’une manufacture unique peut-être en son genre, par la multiplicité hétéroclite des comestibles