Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle demeure sans action sur le thermomètre, sans effet sur nos sens ; c’est la chaleur latente.

Cette combinaison du fluide calorifique avec les molécule des corps pondérables, les physiciens la comparent de tout point à la combinaison chimique ; lorsque la révolution accomplie par Lavoisier rend nécessaire la création d’une nomenclature chimique rationnelle, la commission chargée de fixer cette nomenclature n’oublie pas la matière à laquelle sont dus les effets de la chaleur ; à cette matière, elle donne le nom de calorique, qui est universellement adopté ; tous les ouvrages qui exposent la nouvelle science traitent du calorique comme ils traitent de l’oxygène ou de l’acide muriatique ; le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier débute par un chapitre des combinaisons du calorique et de la formation des fluides élastiques aériformes ; dans la Statique chimique de Berthollet, on lit des phrases telles que celles-ci : « De même qu’il faut des quantités différentes des mêmes acides pour produire le même degré de saturation avec différentes bases alcalines, il faut aussi différentes quantités de calorique pour produire le même degré de saturation dans différens corps, ou, ce qui est la même chose, pour les élever d’une même température à une autre température déterminée. » « Lorsque le calorique produit la liquéfaction des corps solides, il agit comme les dissolvans et, sous ce point de vue, il leur peut être assimilé. »

Bientôt même les chimistes veulent pénétrer plus avant dans la constitution de ce corps, et des divergences éclatent entre eux à ce sujet. Lavoisier regarde le calorique comme un corps simple et, en 1781, il s’élève avec véhémence contre Scheele qui, en considérant la chaleur comme une combinaison d’air vital et de phlogistique, veut « ôter au feu et à la lumière la qualité d’élémens qui leur a été attribuée par les philosophes anciens et modernes. » De Luc, au contraire, après Trembley et Le Sage, regarde le feu comme un corps composé de lumière et d’un autre élément que Prévost nomme la base du feu ; le même De Luc pense que « l’électricité se décompose par trop de densité et manifeste alors ses ingrédiens les plus immédiats : la lumière, le feu, et une substance ayant l’odeur phosphorique. » Mais ces divergences n’ébranlent pas la croyance au fluide calorifique et, en 1803, Berthollet peut conclure l’exposé des raisons qui militent en faveur de cette croyance par cette phrase que ne désavouent pas les plus illustres et les plus prudens physiciens de ce temps : « Si l’on ne veut pas regarder cette conformité entre les propriétés du calorique et celles d’une substance qui subit une combinaison comme une preuve rigoureuse de son existence substan-