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procureur d’État se garda bien, et pour cause, de qualifier le délit de violence sur la personne. Il requit et obtint une condamnai ion du chef d’attentat « à une assemblée régulièrement constituée » (littéralement : crime de publique violence). Il en coûtait alors de ne pas souscrire à l’euphémisme. Un pauvre avocat, Tuskan, ayant juré qu’il avait vu porter le coup, et avancé des détails sur sa trajectoire, se vit condamner, comme faux témoin, à la déchéance de son titre et à l’emprisonnement. Il est aujourd’hui aubergiste à Sissek. On peut conjecturer qu’il appartient toujours à l’opposition.

Je cite cette anecdote, classique dans les annales des patriotes, — il n’est pas rare de trouver chez eux une photographie de la botte de David Starcevic, tirée à un grand nombre d’exemplaires — parce qu’elle est caractéristique du tempérament des Croates. Incapables, quoique fort intelligens, de rompre les mailles d’une politique persévérante et raffinée, ils deviennent ombrageux et passent promptement à l’action, dès qu’on entreprend sur une forme sensible de leur patriotisme. Une question d’archives valut à Hédervary une voie de fait ; avant lui, sous Pejacevic, une question d’écusson avait provoqué une émeute. Le neveu de M. Tisza dégagea la philosophie de ces expériences. Il ganta ce que la presse hongroise appelait avec éloges son « poing de fer ». On le voit même dédaigner, en ce qui le concerne, les attaques de la presse, d’autant plus fort pour sévir contre les articles impersonnels, dirigés contre le principe de son gouvernement. Il connaît l’art de faire à ses ennemis des concessions stériles et de leur abandonner quelques sièges, surtout quand la partie électorale est douteuse. C’est ainsi qu’en décembre 1893 il n’a suscité aucun concurrent, dans le collège de Brod, au romancier Kumicic, appelé l’Alexandre Dumas de la Croatie, dont le succès était ardemment désiré par le parti national. Du reste, en s’abstenant d’écraser l’opposition, il en laisse juste assez pour qu’elle témoigne de ses propres dissentimens.

Ces dissentimens se sont exprimés longtemps sous une forme amère et désolante pour les patriotes éclairés. Les indépendans, dans l’Obzor, les starceviciens, dans la Hrvatska, se prodiguaient les injures, s’accusant réciproquement et assidûment de faire le jeu de la politique magyare. Depuis quelques années, l’excès même des humiliations qu’a engendrées ce conflit amène insensiblement une débilite. En 1892, le conseil municipal d’Agram ayant été dissous, les deux partis se mirent d’accord, arrêtèrent une liste, et la firent passer. Plus tard, élargissant les bases de l’union, ils finirent par s’entendre, sous la dénomination d’Opposition réunie