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peine pour la conserver ; la nuit, cependant, la surveillance se relâche : quelques hardis maraudeurs dérobent les tubercules, les goûtent, les trouvent excellens ; les larcins se multiplient, toute la récolte y passe. Aussitôt que, grâce au stratagème de Parmentier, on s’est décidé à manger les pommes de terre, leurs qualités apparaissent et on recherche un aliment qu’on repoussait naguère. Sa culture, dès ce moment, se répandit rapidement, et, au dire des contemporains, à deux ou trois reprises, elle préserva la France des horreurs de la famine. À la fin de sa vie, Parmentier peut écrire : « La pomme de terre n’a plus que des amis, même dans les contrées où l’esprit de système et de contradiction voulait la bannir à jamais. »

C’est en 1819, six ans après la mort de Parmentier, qu’un des plus illustres secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences, le grand Cuvier, prononça son éloge ; il s’y trouve un portrait qu’on aime à relire :

« Cette longue et continuelle habitude de s’occuper du bien des hommes avait fini par s’empreindre jusque dans son air extérieur ; on aurait cru voir en lui la bienfaisance personnifiée. Une taille élevée et restée droite jusque dans ses derniers jours, une figure pleine d’aménité, un regard à la fois noble et doux, de beaux cheveux, blancs comme la neige, semblaient faire de ce respectable vieillard l’image de la bonté et de la vertu. Sa physionomie plaisait surtout par ce sentiment de bonheur, né du bien qu’il avait fait. Et qui, en effet, aurait mieux mérité d’être heureux, que l’homme qui, sans naissance, sans fortune, sans de grandes places, sans même une éminence de génie, mais par la seule persévérance de l’amour du bien, a peut-être autant contribué au bien-être de ses semblables qu’aucun de ceux sur lesquels la nature et le hasard accumulent tous les moyens de les servir ? »

Et plus loin, résumant en quelques traits le caractère de Parmentier, Cuvier ajoute :

« En un mot, partout où l’on pouvait travailler beaucoup, rendre de grands services et ne rien recevoir, partout où l’on se réunissait pour faire du bien, il accourait le premier, et l’on pouvait être sûr de disposer de son temps, de sa plume et au besoin de sa fortune. »

Depuis le commencement du siècle, la culture de la pomme de terre, si justement préconisée par le bon Parmentier, n’a cessé de s’étendre. Il devait eu être ainsi : la plante est robuste, s’accommode des climats les plus différens et se prête à des emplois variés. Moins chargés de matières azotées, d’albuminoïdes, que les grains des céréales, les tubercules de pommes de terre sont très riches